Un dysfonctionnement institutionnel présumé au sein du Pôle EUNIC RDC (European Union National Institutes for Culture) a conduit à l’annulation du financement du projet phare Médiathèque MutuBuku – Émilie Flore Faignond, provoquant la fermeture temporaire de la Maison Culturelle des Mwindeurs dans le quartier populaire de N’djili à Kinshasa.
Bien que le projet ait été initialement « sélectionné et reconnu » pour sa qualité par EUNIC RDC, la décision finale de ne pas le soutenir, prise le 18 octobre 2025, repose sur des considérations administratives liées à la situation personnelle et sécuritaire de l’initiateur, un artiste congolais contraint à l’exil, plutôt que sur la faisabilité ou l’impact du projet lui-même.
Le collectif Malafi’arts Production, porteur du projet MutuBuku, dénonce une ingérence inappropriée et une instabilité des critères de sélection qui ont transformé l’évaluation d’un projet communautaire en une enquête sur la vie privée de son fondateur, Niamba Malafi.
En avril 2025, Malafi’arts Production a soumis le projet MutuBuku à l’appel à projets de la Délégation de l’Union européenne. Le projet visait à établir une médiathèque communautaire à N’djili pour stimuler la lecture, l’écriture et l’accès au numérique. La structure, la Maison Culturelle des Mwindeurs, fonctionnait déjà avec le soutien d’Africalia, de Bracongo et de son propre collectif, le financement de l’UE étant uniquement un cofinancement complémentaire pour la construction et les ateliers.
Le Pôle EUNIC RDC a d’abord montré un intérêt marqué. Le projet est entré dans une phase préparatoire active avec des échanges réguliers et la co-organisation réussie de la médiation du Festival du Film Européen. Le 30 mai 2025, un contrat était même présenté à la signature.
La situation a basculé le 23 juin 2025, lorsque la cheffe de projet, Madame Élodie Cacheux, a exprimé une inquiétude soudaine concernant le séjour de l’initiateur en Europe. Niamba Malafi était effectivement éloigné pour des raisons de sécurité personnelle, faisant suite à son incarcération injuste à la prison de Makala et aux menaces subies après une performance dénonçant les conditions de détention.
Malafi a immédiatement prouvé la continuité opérationnelle de la structure à Kinshasa sous la responsabilité d’une équipe locale reconnue par un PV d’assemblée générale notarié. Cependant, l’équipe a été choquée d’apprendre que la cheffe de projet allait plus loin, demandant des preuves de la « régularité » du séjour de l’initiateur en Europe, avant d’affirmer : « Ils attendront son départ pour procéder à la signature de la convention. »
Cette exigence a été perçue comme un conditionnement du financement d’un projet congolais à la situation administrative personnelle de son initiateur, en dépit de l’existence d’une gouvernance locale solide et légale.
Le 1er juillet 2025, EUNIC a unilatéralement suspendu la subvention pour trois mois pour « régularisation de la gouvernance », une décision prise sans notification formelle ni base dans les termes de l’appel à projets. Face à ce blocage et à l’usage de WhatsApp comme principal canal de gestion d’un dossier public, le collectif a adressé, le 3 juillet 2025, un signalement officiel à la Délégation de l’Union européenne.
Malgré les clarifications répétées de la pleine autonomie de la structure locale, la sentence est tombée le 18 octobre 2025. Madame Cacheux a informé Malafi’arts que « Le comité de pilotage du Pôle EUNIC, sous l’autorité de l’Union européenne, a finalement décidé de ne pas soutenir votre projet. » Aucune motivation écrite précise n’a accompagné ce refus. Le projet, pourtant validé sur le fond, a été rejeté pour des « raisons administratives liées à une personne physique ».
Cette décision a eu un impact moral et symbolique fort. Pour l’équipe des Mwindeurs, c’est « une goutte de mauvaise foi de plus » s’ajoutant aux difficultés des acteurs culturels congolais. MutuBuku n’est pas qu’une médiathèque, c’est un acte de décentralisation culturelle, un espace pour la jeunesse de N’djili, porté avec rigueur et cofinancé par des partenaires africains et européens.
En conséquence de cette pression et de la profonde déception, la Maison Culturelle des Mwindeurs a été contrainte de fermer temporairement ses portes. Le collectif a déclaré être « épuisé » et sollicite désormais une médiation institutionnelle pour évaluer les manquements de procédure et rétablir la confiance et l’équité dans la gestion des fonds culturels en RDC.
Le projet MutuBuku, né en 2017, est l’un des rares efforts structurés pour décentraliser l’accès au livre et à la culture à Kinshasa.
Étapes Clés du Projet MutuBuku et ses Faits Marquants :
- 2016–2017 : Origine Indépendante & Ancrage : Naissance de la journée « Tête-Livre » au Collège Bonsomi (N’djili). Plateforme pour slameurs et rappeurs locaux.
- 2017–2020 : Intégration Institutionnelle : Intégration à la Fête du Livre de Kinshasa, sortie de la Gombe vers N’djili-Kimbanseke. Partenariat avec l’Institut Français et le Lycée René-Descartes.
- 2020 : Consécration Populaire & Idée de Médiathèque : 4ᵉ édition avec Christian Epanya, accueillant plus de 300 participants. Début de la discussion sur la nécessité d’une Médiathèque pour préserver les dons d’ouvrages.
- 2021–2023 : Résilience & Structuration : Développement d’une pratique médiathécaire (catalogage informel, formation). Tournée de l’installation sonore Salon des Bruits. Accueil d’auteurs (Valérie Manteau, Cécile Benoist).
- 2024 : Rupture Institutionnelle et Indépendance : L’Institut Français écarte le projet de sa programmation sans justification. Malafi’arts réaffirme l’autonomie et se concentre sur la création de la Médiathèque MutuBuku Émilie Flore Faignond.
- 2025 : Hommage et Crise : La médiathèque rend hommage à l’écrivaine belgo-congolaise Émilie Flore Faignond suite à son don de collection personnelle. Le projet est validé par EUNIC, mais le financement est bloqué pour des raisons liées à l’initiateur exilé.
Le MutuBuku demeure, malgré l’arrêt du financement, un symbole de résilience et d’engagement citoyen. L’équipe coordinatrice insiste : si le Pôle EUNIC veut rester un partenaire crédible pour la société civile congolaise, ses mécanismes d’appui doivent « respecter l’égalité de traitement, la traçabilité administrative et la dignité des porteurs de projets indépendants. »
Franklin MIGABO