Au nombre des mythes issus de la tradition Kasaïenne dont la réputation a traversé l’espace du peuple Luba situé au centre de la RDC, se compte sans conteste le Tshibawu.
Combien de fois en effet le mot “Tshibawu” n’a pas été entendu lorsqu’on fait allusion à la punition censée infliger l’infidélité d’une femme mariée ? Et de prime abord pour un sujet aussi sensible, voire affriolant, les interrogations fusent: la pratique affecterait-elle uniquement la femme mariée à un Luba ou celle d’une autre tribu en ménage avec un Luba échapperait-elle à l’infamie?
Mythe fondateur Luba
En fait, le mythe du Tshibawu remonte aux temps immémoriaux et il est transmis au fil du temps par la tradition. Il serait l’expression d’une malédiction léguée par une femme surprise alors en flagrant délit d’adultère et qui, condamnée à mort pour l’infraction impardonnable commise, aurait promis le même sort à ses congénères des générations futures qui se rendraient coupables de la même faute.
Ce mythe fondateur se veut en tout cas être le fondement de la stabilité de la société Luba. Et pour cause, la société luba est patriarcale. De plus la polygamie, signe ostentatoire de richesse et d’une main-d’œuvre laborieuse pour les travaux des champs, y est largement en vigueur même en milieu urbain. Elle symbolise la réussite.
Dans ce contexte, les femmes vivent dans la même enceinte sous un ordre hiérarchique, la première épouse ayant préséance sur les autres et le respect dû à son rang est imposé. La progéniture abondante est le témoignage de bénédictions. Il va de soi dans ces conditions, que la mise en place de cet interdit caractéristique du peuple Luba à côté de bien d’autres a pour objectif d’aller à l’encontre d’éventuelles transgressions à même de garantir la cohésion familiale et sociale: le patriarcat doit absolument s’assurer de la légitimité des enfants aux yeux du père et de son clan et seule la fidélité de la femme en est une certitude. D’un autre côté, on connait les risques que peut susciter la polygamie quant à la possibilité de l’attachement entre un homme et une femme.
Tshibindi et Tshibawu
A plusieurs égards, la sanction de l’infidélité confirme la dureté des lois sociales lubas. A tel point qu’il semble que beaucoup de femmes qui en sont originaires préfèrent ne pas épouser des hommes de leur tribu en raison de ces moeurs trop rigoristes.
Toutefois, bien que le terme “Tsibawu” occupe une place prépondérante dans l’imaginaire du Congolais lambda, il en est un autre en totale corrélation avec lui: le Tsibindi. Cette dernière notion est en réalité primordiale au Tsibawu. La première est en effet à l’origine de la commission de la faute alors que la deuxième porte plus sur la réparation ou l’amende à régler. Différentes situations sont à la source du Tshibindi. On cite volontiers le cas de l’épouse responsable de relations sexuelles extra-conjugales, d’un enfant qui découvre la nudité de ses parents, ou encore de deux co-épouses qui qui s’injurient ou se bagarrent.
Face au non-respect de la loi, le malheur peut frapper la personne qui a le “sang faible”, en position directe ou collatérale. Ainsi, un époux qui serait victime de l’adultère en est éventuellement affecté, de même que les enfants du couple pourtant innocents et ce sans tenir compte du rôle joué par son artisan, dans le cas d’espèce l’épouse adultère.
Le Tshibindi serait donc une malédiction entrainant des conséquences pouvant revêtir différentes formes. Le malheur prendrait alors la forme d’une maladie, d’une impuissance sexuelle, de la sécheresse financière, de la perte d’emploi, d’errance, de la folie, voire même la mort. En sus, cette malédiction peut se transmettre de génération après génération. Au nombre d’histoires liées à ce genre d’épisode, il se raconte qu’un monsieur surpris de filer le parfait amour avec sa tante, s’est vu frappé d’impuissance devant son entêtement à ne pas rompre la liaison dangereuse. Sur l’insistance de sa famille, il finit toutefois par se marier à une autre femme. La nuit des noces, il prétexta la fatigue consécutive aux préparatifs du mariage et à l’excès des joies de la fête pour ne pas honorer son épouse. Puis, de subterfuges en subterfuges de la part de son époux pour ne pas remplir ses devoirs, celle-ci se décida en définitive de quitter le toit conjugal sans qu’il n’y ait eu consommation effective du mariage. Peu de temps après, ledit monsieur perdit son emploi des suites d’une bévue inexplicable pour finir par errer perpétuellement saoul dès les premières heures du jour et cela, jusqu’à sa mort.
Il s’agit donc de racheter la faute pour conjurer le mauvais sort. Ainsi pour lever la transgression commise, la femme compromise, déclarée mwena tshibau, doit absolument payer le prix de la faute effectuée sinon de constater la persistance du malheur. D’où l’entrée en scène du Tshibawu. Le prix de la réparation, le tshibawu, se présente de différentes manières, l’essentiel étant qu’il atteigne l’objectif de purification après invocation des esprits des ancêtres. Ainsi, la femme fautive (“mwena tsibau”) doit avouer son forfait, quitter le toit conjugal et retourner chez ses parents. De là, elle est astreinte à ramener poules et chèvres à préparer pour les hommes. Un autre exemple de réparation est cité : la femme coupable doit subir l’humiliation de se promener toute nue à travers tout le village et accepter d’être conspuée. Avant cela, l’homme cocufié devra se débarrasser du lit conjugal, même si le délit a été opéré hors de chez lui.
En réaction aux sanctions contre l’adultère, une autre pratique a vu le jour: le tshizaka bwanga, cet exercice consiste en l’utilisation par la femme d’un gri-gri qui a le pouvoir d’avoir les contraintes décrites ci-haut. En effet, grâce à cette amulette, la femme volage sait à se prémunir de route adversité qui la frapperait en cas de manquement grave à ses obligations maritales.
Il reste cependant à s’interroger sur la résistance des traditions vis-à-vis de l’adultère à l’heure du melting pot des populations dans les grandes villes ou de leur migration surtout en terre occidentale, où les exigences vertueuses sont moins sévères. Seules alors les personnes sanctionnées par des jugements avérés pourront répondre à la question.
Masand Mafuta/Culture Congo