À l’occasion de la Journée Internationale de la danse, célébrée le 29 avril de chaque année, Culture Congo a réalisé un entretien avec Way Way Dolsée, figure emblématique de la danse en République Démocratique du Congo. Danseur, chorégraphe, comédien et entrepreneur culturel, Way Way a consacré sa vie à l’art de la danse et à la promotion de la culture congolaise. Fondateur du Centre de Création et de Recherche d’Arts Vivants sur Scène (CCRAVS) et du festival « Naza Danseur », il s’efforce de redorer le blason de la danse en RDC.
À travers cette interview exclusive, il nous partage son parcours inspirant, ses réflexions sur la scène actuelle de la danse en RDC, ainsi que sa vision pour l’avenir. Découvrez comment cet artiste passionné surmonte les défis et s’engage à faire de la danse un métier reconnu et respecté.

Culture Congo : Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours en danse et chorégraphie ?
Way Way Dolsée : Je suis Ngombo Way Way Dolsée, danseur, chorégraphe, comédien, metteur en scène, entrepreneur culturel, directeur du Centre de Création et de Recherche d’Arts Vivants sur Scène (CCRAVS) et du Festival Naza Danseur, et enseignant d’Arts Dramatiques à l’Institut National des Arts (INA). J’ai commencé la danse à la cité, en 2005, précisément à la Compagnie Ballet-Théâtre « Espoir du Congo ». C’est dans cette compagnie que j’ai été formé comme danseur et chorégraphe pendant 5 ans. En 2010, j’ai commencé mes études en arts dramatiques à l’Institut National des Arts. Deux cycles de graduat et licence, dont le premier en danse et chorégraphie et le second en mise en scène, où j’étais encadré par les professeurs Yoka Lye Mudaba, Jean Marie Ngaki Kosi, Nzey Van Musala, Kulumbi Nsi Edgar, Jean Romain Malwengo, Hardy Mone… Ce sont eux qui ont boosté ma vision sur les arts scéniques dans une approche technique, artistique, scientifique et sur le plan professionnel. Ils m’ont ouvert les portes de plusieurs projets de danse et chorégraphie auxquels j’ai participé et dirigé grâce à leur volonté.
En passant par la Cie Théâtre National Congolais dans sa division « Ballet National », la Cie « André Takousaa » du Cameroun, « Artcon Crew », « Théâtre des Intrigants », « Ballet Umoja », « Festival Mbonda Elela »… Ces compagnies m’ont servi de lieux d’échange et d’expérimentation artistiques avec plusieurs projets de création de qualité. J’ai également pris part à certains ateliers de danse et chorégraphie sur les plans national et international.

CC : Qu’est-ce qui vous a inspiré à devenir danseur chorégraphe ?
WWD : Ce qui m’a inspiré à devenir danseur et chorégraphe, je dirais en premier lieu, le fruit du hasard. En second lieu, le travail acharné d’un artiste danseur et/ou chorégraphe face à une société qui ne reconnaît pas le mérite de son travail et lui inflige des insultes sans relâche avec certaines qualifications gratuites comme « Vaut rien ». D’où je me suis lancé entièrement dans ce domaine pour faire respecter ce métier pourtant noble. C’est ici qu’en 2011, j’ai mis en place le Centre de Création et de Recherche d’Arts Vivants sur Scène (CCRAVS) et le festival « Naza Danseur » en 2020 pour faire respecter non seulement le métier de danseur, mais aussi son pratiquant.
CC : Comment décririez-vous la scène de la danse en RDC aujourd’hui ?
WWD : La scène de danse en RDC est vide, presque inexploitable et inexistante compte tenu du manque de politique culturelle en général et celle de la danse en particulier. Nous n’avons pas de managers sérieux et bien formés, pas d’entrepreneurs, de producteurs… Il y a certes des individualismes qui permettent, dans un sens positif, la survie de la danse en RDC. Une question : qu’est-ce que nos musiciens chantent actuellement ? Mais ils ne font que danser et exploitent abusivement les danseurs sur la scène avec certaines phraséologies de mouvements sans éthique… Mais les producteurs, tourneurs, mécènes se fient à ces musiciens. Or ils peuvent travailler directement avec les chorégraphes et danseurs. C’est aussi une interpellation pour nous danseurs et chorégraphes de nous prendre en charge, de réfléchir sur notre domaine : comment vendre la danse. La danse et la musique, bien qu’elles ne s’opposent pas, sont deux métiers à part, entièrement différents ; sans la musique, il y aura la danse, et sans la danse, la musique existera.

CC : Quelles sont les principales formes de danse que vous intégrez dans votre travail ? Entre la danse urbaine et contemporaine, laquelle travaillez-vous le plus ?
WWD : Ça dépend des types de création que j’entreprends. À quelques exceptions près, la commande du client influence aussi… Mais dans la plupart des cas, dans mes œuvres, les formes de danse sont variées : le contemporain, le traditionnel, l’urbain… ont une représentativité afin de créer un centre d’attraction et de chercher une diversité du point de vue style de danse pour en ressortir un brassage sur le plan plastique (esthétique).
CC : Comment la danse en RDC a-t-elle évolué au fil des années, selon vous ?
WWD : Depuis les années 60 jusqu’à nos jours, la danse se diversifie et évolue dans le temps et dans l’espace selon la perception et la sensibilité du créateur par rapport à la réception du destinataire (contemplateur). Une chose est vraie : si hier la danse en RDC n’était pas un métier dans le vrai sens du terme, aujourd’hui c’est un métier sans équivoque. Elle entraîne de l’engouement dans la mesure où elle est devenue incontournable comme une science, un art à part entière, un objet de marketing des produits de vente, une identité, un canal de communication et de sensibilisation… Cette évolution peut être constatée dans les écoles, les églises, à la télévision, sur les réseaux sociaux, avec la pluralité des activités relatives à la danse : festivals, forums, ateliers, concours… Malheureusement, son pratiquant reste encore non évolué sur le plan social.
CC : Quels défis rencontrez-vous en tant que danseur/chorégraphe en RDC ?
WWD : Les défis sont nombreux : se faire accepter et respecter, s’instruire en la matière, trouver des marchés rentables, vendre ses œuvres, se faire accompagner par des partenaires, trouver des lieux de répétition et de production, gagner sa vie, bref, s’épanouir.
CC : Comment la situation socio-économique du pays influence-t-elle la danse et les artistes ?
WWD : Oui, parce que l’artiste crée d’abord pour sa société. Et les premiers consommateurs de l’œuvre sont nos compatriotes congolais. Avec la situation socio-économique actuelle, notre public ne se déplace pas, ne se procure pas le billet d’entrée, ne soutient pas la danse avec des finances… C’est difficile. Cette influence ronge notre métier. C’est pourquoi, depuis quelque temps, par amour du métier, nos performances se donnent gratuitement.
CC : Quel impact la danse a-t-elle sur la culture et l’identité en RDC ?
WWD : Un impact positif et négatif. Positif quand la danse est utilisée à bon escient pour les bonnes causes, comme nos danses traditionnelles pendant les cérémonies coutumières ou officielles. Celle-ci garde l’essence même de la tradition et identifie le peuple, partant d’un fait précis, et véhicule les valeurs culturelles patrimoniales. Négatif, quand la danse écarte les valeurs éthiques bantoues et se livre à l’obscénité ; c’est de la dépravation des mœurs.
CC : Participez-vous à des événements ou festivals de danse en RDC ? Si oui, lesquels ?
WWD : Oui, sur les plans national et international : le festival Naza Danseur (RDC), Fiesad (Maroc), Incroyable Talent d’Afrique (Côte d’Ivoire), Mbote Arkades (Turquie), Muana Lemba (RDC), Mia Identity (RDC), Mbonda Elela (RDC), Redakin (RDC), spectacles d’ouverture et de clôture des 9èmes jeux de la francophonie (comme assistant chorégraphe), inauguration du Centre Culturel pour les Pays d’Afrique Centrale (comme chorégraphe et metteur en scène), hommage sino-africain (en Chine, comme chorégraphe et danseur)…
CC : Comment la Journée mondiale de la danse est-elle célébrée en RDC et quel en est l’impact ?
WWD : Il est vrai que cette journée est célébrée en RDC, mais dans un ordre dispersé, au lieu de fédérer les énergies afin de la préparer en synergie de force. Il n’y a pas vraiment d’impact considérable du fait que la journée est bâclée, souvent avec une ou des communautés de danseurs d’une même tendance, avec des activités regroupant entre 200 et 300 personnes dans un pays de plus de 100 millions d’habitants.
CC : Quelle est votre vision pour l’avenir de la danse en RDC ?
WWD : Ma vision pour l’avenir de la danse en RDC est de faire accepter la danse comme métier et de faire respecter le danseur au même titre que ceux qui s’exercent dans d’autres domaines de la vie quotidienne. Également, doter le danseur d’un statut propre à lui.
CC : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes danseurs qui souhaitent se lancer dans ce domaine ?
WWD : Conseils ? la danse est difficile, ce n’est pas un métier réservé à tout le monde, surtout pas pour les gens moins intelligents. Donc, la nécessité de l’instruction s’impose. Il s’ajoute à cela le travail individuel et d’équipe, l’abnégation, le respect, l’ouverture d’esprit, le sérieux et la spiritualité… Ils sont tous les bienvenus, car le champ est vaste et nous devons être nombreux pour nous affirmer ensemble.
CC : Y a-t-il un message ou une réflexion que vous aimeriez partager pour la Journée mondiale de la danse ?
WWD : Oui. Nous, danseurs et chorégraphes, devons cesser et abandonner la folie de la danse qui relève de l’exhibitionnisme. Nous devons opter pour l’art de la danse, la science de la danse, le métier de la danse, sans complexe, ni peur, et sans aucune auto-flagellation.
Masand Mafuta