L’artiste Cœur Tam-Tam Kabuyaya, coordinateur des activités au sein de Mlimani éditions, a retracé le parcours pertinent et intéressant de cette maison littéraire plus d’une année, après son lancement officiel intervenu au mois d’avril en 2022.
De vives voix, M. Kabuyaya se dit enthousiasmé de diverses réalisations accumulées par cette maison, tout en brossant succinctement les multiples difficultés auxquelles ils font face dans l’exercice de leur métier qui n’est d’autre que celui de rendre accessibles des ouvrages des auteurs africains (congolais), jadis, rares ou disponibles à des prix qui ne tenaient pas compte du pouvoir d’achat du congolais. Voici le condensé de l’interview qu’il a accordée à la rédaction de Culture Congo.
Culture Congo : Pouvez-vous nous présenter les éditions Mlimani, en quelques lignes ?
Cœur Tam Tam Kabuyaya : Mlimani est une maison d’édition basée à Goma. Elle est spécialisée dans l’édition et la réédition des œuvres des auteurs africains, particulièrement celles des congolais. Elle s’intéresse non seulement aux écrits des auteurs de la génération actuelle mais elle voudrait aussi mettre à la portée du public les œuvres des auteurs classiques. Certaines œuvres jadis publiées méritent d’être exploitées par des générations actuelles pour mieux se projeter autrement dans l’avenir.
CC : Quelles seraient les motivations concourues à la création de Mlimani Editions ?
CTK : La motivation de création de Mlimani est liée à un constat flagrant : la plupart des livres mis à la portée du public congolais sont des dons. D’où, ils évoquent dans la plupart des cas des réalités occidentales. Il est donc primordial de changer la tendance, produire des livres sujets à parler au congolais, à l’africain.
Beaucoup d’auteurs africains ont publié et/ou publient encore en Europe. Ce n’est pas mauvais. Mais le comble est que les coûts dus à l’importation font qu’une fois le livre est acheminé en Afrique, il coûte cher. Sans tenir compte du pouvoir d’achat de toutes les classes sociales. Mlimani fait l’impression localement pour promouvoir la main d’œuvre locale, et avoir la possibilité de rabattre le prix.
CC : Si tel est le cas, quel serait le prix d’achat de l’ensemble de vos livres édités ?
CTK : Le livre le plus cher produit par Mlimani coûte dix dollars américains. Et cela est dû à son volume. Mais d’autres livres déjà édités ou réédités coûtent moins de dix dollars.
CC : Quelle est la vision de Mlimani ?
CTK : Mlimani vise à promouvoir les écrits des auteurs, les sortir de l’anonymat en confrontant le livre au lecteur. Le mécanisme est d’aller dans les écoles, universités, centres de recherche, centres culturels, pour parler du livre et ériger des points de vente dans des endroits où le livre n’était pas accessible. A titre d’exemple, Mlimani a des points de vente dans des restau-bar. Le livre devrait être consommé à la même échelle qu’une bière, ou même mieux. Car il forge l’âme. Il rend ample l’intelligence.
CC : Une année déjà depuis l’implantation de Mlimani Éditions, pouvez-vous en dire plus sur votre bilan ?
CTK : Dans un an, le bilan est positif. Mlimani était à une phase embryonnaire, mais nous avons produit plusieurs livres des auteurs de renom. “La guerre a échoué” de Micheline Mwendike. “Ces vérités qui nous mentent” de Laurent Kasindi. “La force des femmes” du Docteur Denis Mukwege, “Les damnés de la terre” de Frantz Fanon, L’histoire du Congo du prof Isidore Ndayweil et bien d’autres en cours.
S’il faut faire le bilan axé sur le chiffre, plus de 10.000 livres ont été écoulés. Plus de 50 cafés littéraires, des échanges avec les écrivains et lecteurs, dans divers endroits. Il sied aussi de signaler que Mlimani est implanté dans d’autres villes en RDC, excepté Goma. Nous avons des points focaux et des points de vente à Kisangani, Lubumbashi, Béni, Butembo, Bunia, Kinshasa et Bukavu. Des activités de vente et promotion de la lecture sont donc organisées dans toutes ces villes.
CC : Sachant que le chemin est encore long, quels sont les défis auxquels vous vous confrontez ?
CTK : Parmi les défis auxquels on s’est heurté, on peut dire que le besoin de réalisation est énorme pour atteindre des résultats probants et variés, mais les moyens (les ressources disponibles) sont encore limités…
CC : Les congolais ne lisent pas, dit-on. Quelle lecture faites-vous de cette affirmation ?
CTK : Pour moi, c’est un dicton discutable. Les congolais lisent, il faut simplement mettre en place un mécanisme qui puisse favoriser le progrès de la culture et de la lecture. Il faudra non seulement susciter le goût de la lecture, mais aussi rendre le livre disponible à un prix abordable. Des livres qui, auparavant, étaient vendus à 25 ou 30 euros, sont réédités par Mlimani et sont vendus à 8 ou 7 dollars. Le chiffre relatif aux livres que Mlimani a écoulés dans un an, est une preuve que les congolais lisent. Néanmoins, beaucoup reste à faire pour accroître davantage le nombre des lecteurs.
CC : Que peut-on retenir des perspectives de Mlimani ?
CTK : La grande perspective est de continuer à améliorer les stratégies afin que le livre soit compétitif sur le marché, au même titre que d’autres produits de première nécessité. Il ne faudrait pas qu’il soit pris pour un accessoire.
CC : Avez-vous un message à adresser aux acteurs du livre ?
CTK : Aux lecteurs, lire un livre c’est chasser l’ignorance ou renforcer ses capacités. La lecture nous aidera à mieux cerner les contours de nos propres défis et ceux de notre société, et nous proposera des pistes pour y remédier.
Aux auteurs, de continuer à écrire, d’être les archivistes des réalités de leur société. Et de vendre l’image de grandeur des africains à travers leurs écrits.
Aux autorités, de soutenir, d’accompagner sans relâche le secteur du livre. De le mettre en avant plan dans les prévisions budgétaires. Comprendre qu’une société bâtie par l’élite, la vraie élite est encline au développement.
Propos recueillis par Alexis Kant