De la scène délabrée de Kinshasa aux festivals les plus prestigieux de la planète, le parcours de Jupiter Bokondji est celui d’un obstiné, d’un visionnaire qui a porté, contre vents et marées, le son unique de son groupe Okwess. Cette trajectoire hors du commun a été couronnée tout récemment par sa nomination au grade de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, remise par l’ambassadeur de France en République Démocratique du Congo, venant sceller une influence artistique qui dépasse largement les frontières de son pays.
L’artiste, de son vrai nom Jean-Pierre Bokondji Ilola, né en 1963, ne cesse d’accumuler les reconnaissances. La plus récente en date : la programmation historique de Jupiter & Okwess pour l’édition 2023 de Coachella, faisant d’eux le premier groupe congolais à se produire sur cette scène mythique. Cette invitation fait suite à une décennie de rayonnement international intense, marquée par des tournées mondiales, 44 concerts rien qu’aux États-Unis en 2018 et 2019, et des passages remarqués dans des festivals comme Glastonbury, Roskilde ou le New Orleans Jazz & Heritage.

Leur musique, un mélange captivant de rumba congolaise revisitée et d’énergie rock, a séduit des icônes de la scène mondiale. Leur album « Kin Sonic » (2017) s’est enrichi des contributions de Damon Albarn (Blur, Gorillaz), du violoniste Warren Ellis (Nick Cave) et de Robert del Naja (Massive Attack), ce dernier signant une pochette d’album percutante. Leur dernier opus, « Na Kozonga » (2021), co-produit par Mario Caldato Jr. (Beastie Boys), a été salué par la critique, élu « album de la semaine » par Rolling Stone France et a valu au groupe les quatre clés de Télérama, un rare exploit.
Pourtant, rien ne prédestinait Jupiter à une telle carrière internationale. Fils d’un diplomate, il a grandi à Berlin-Est avant de retourner au Zaïre (actuelle RDC) dans les années 1980. C’est là que sa légende a commencé à s’écrire. Le documentaire « La Danse de Jupiter » (2004) de Renaud Barret et Florent de La Tullaye a révélé au monde cet « échassier dégingandé vêtu d’un uniforme de général », véritable Don Quichotte des ghettos, se battant avec une ténacité incroyable pour faire vivre sa musique dans un environnement des plus précaires.

Ce film a été un déclencheur, permettant les premières rencontres décisives, comme celle avec le guitariste français Yarol Poupaud, et posant les bases d’un réseau qui allait s’étendre. La collaboration avec Damon Albarn sur le projet « Kinshasa One Two » (2011) et l’intégration à la tournée Africa Express (2012) ont ouvert les portes des grandes scènes britanniques, les menant jusqu’à assurer les premières parties de Blur.
Au-delà de la musique, Jupiter Bokondji explore d’autres territoires artistiques. En 2021, il a été sacré Artiste de l’Année aux Prix Lokumu dans son pays. Il s’est aussi illustré comme acteur, jouant dans la pièce « Le Vol du Boli » aux côtés d’Abderrahmane Sissako et de Damon Albarn au Théâtre du Châtelet à Paris au printemps 2022.

Aujourd’hui, la décoration française officialise ce que le public international sait depuis longtemps : Jupiter Bokondji est bien plus qu’un musicien. Il est un ambassadeur infatigable de la culture congolaise, un créateur dont la voix et le rythme, nés dans l’agitation de Kinshasa, résonnent désormais aux quatre coins du monde, portés par une énergie et une humanité qui forcent l’admiration. Son histoire est celle d’une victoire, celle de la musique sur l’adversité.
Franklin MIGABO
