Certains affirment que la poésie est mourante, mais pour d’autres, elle reste le seul moyen d’exprimer leur message, car elle conserve le mystère que tout poète cherche à comprendre. Safnath Panéa Muka est l’un de ces auteurs qui, à travers ses recueils de poésie, ravive cet espoir en la poésie et l’excellence poétique.
De “Cris d’un poète en sanglots” publié aux éditions Parujekad, en passant par “Goma, du sang sur l’or” co-écrit avec Paul Mwadi chez Calures éditions, Safnath Panéa Muka a désormais fait paraître son dernier recueil, “Mélankwolia”, le 27 juillet 2024 chez Calures éditions.
Dans cette interview accordée à Culture Congo depuis Lubumbashi, l’auteur revient sur ces deux dernières parutions qui chantent la liberté tout en dénonçant les atrocités dont est victime l’Est de la République Démocratique du Congo depuis plus de deux décennies. Safnath Panéa Muka exprime également son amour pour sa patrie et son engagement déterminé dans la lutte pour la paix et la liberté.
Culture Congo : Pourriez-vous vous présenter brièvement ?
Safnath Panéa : Je m’appelle Safnath Panéa Muka. Je suis poète, slameur, fablier, nouvelliste et conteur.
CC: Vous êtes l’auteur de deux recueils de poèmes, Melankwolia écrit par vous et Goma, du sang sur l’or, coécrit avec Paul Mwadi, parus chez Calures Éditions. Quelle est la particularité que l’on peut rencontrer dans l’écriture de vos poèmes ? Parce que les textes sur Goma, on en a vu depuis bien longtemps qui n’ont presque abouti à rien.
SP : La particularité de mes textes, c’est que je ne les ai pas d’abord écrits pour le buzz, mais pour passer un message. Ce sont des textes qui informent, notamment la jeunesse congolaise, sur des réalités que beaucoup d’étrangers connaissent mieux que nous sur notre propre pays. Par exemple, le recueil Goma, du sang sur l’or contient des textes qui donnent des informations approfondies sur l’histoire des Banyamulenge et la situation actuelle en RDC. Mes textes sont aussi marqués par la révolution, tant dans le fond que dans la forme, et peuvent être étudiés.
CC : Et pourquoi avez-vous choisi Mélankwolia comme titre de votre récente parution? Ce titre n’est ni en français ni en langue locale.
SP : Mélankwolia vient de ce qu’on appelle la “licence du poète”, c’est-à-dire la permission que s’accorde le poète de modifier la prononciation ou l’orthographe d’un mot. J’ai donc créé mon propre mot, qui n’est ni en latin ni en français, mais que je veux inscrire.
CC : Toujours dans Mélankwolia, dans l’un de vos textes intitulé “Dans ma tristesse”, on peut lire votre désespoir : “Je ne crois plus en moi, croirais-je en des dieux / Alors que ma foi a des yeux rouges à la potence?” Qu’est-ce qui vous anime et vous révolte dans ce désespoir ?
SP : Ce désespoir exprime la déception de ne pas voir ses efforts récompensés, malgré les études, la recherche d’emploi, etc. On pense que le salaire nous égayera, mais malheureusement il n’arrive même pas à couvrir nos besoins. Cette déception ne peut engendrer que le désespoir, qui est le meurtrier de l’espoir qu’on a eu dans la vie.
CC : Que proposeriez-vous pour améliorer la situation ?
SP : Un prêtre de la place disait que l’État nous a dit que les études sont la clé de la vie. Mais quand on a fini les études, l’État a changé les serrures. Ce que je dirais, c’est que l’État doit améliorer le volet social. Nous avons étudié dans l’espoir d’avoir un emploi, mais ce n’est pas tombé du ciel. L’État doit mettre ces emplois à notre disposition, sans discrimination sociale comme on le voit actuellement. Il ne devrait pas falloir appartenir à telle famille pour avoir tel emploi dans telle entreprise. Avec un système social stable, les choses pourraient bien fonctionner.
CC : Votre œuvre montre aussi votre détermination, votre colère, par exemple dans des titres comme “Chez moi”, “Bientôt 30 ans”, “Banyana”… Pourquoi avoir choisi de vous concentrer sur Goma dans “Goma du sang sur l’or” alors qu’il y a aussi d’autres zones de conflit et de déchirure familiale, comme Kwamouth ?
SP : Pour Goma, c’était d’abord une guerre, mais aujourd’hui on ne parle plus de guerre, on parle de génocide. C’est le plus vieux génocide de l’humanité, qui paralyse l’économie du pays. Nous avons voulu, à travers ce canal poétique, dénoncer ces actions afin qu’elles cessent, dans l’espoir que cela change la donne économique du pays.
CC : Dans “Enfant de la rue”, je lis : “Je n’ai connu qu’une seule fois la vie heureuse, Écorché a toujours été ma peau, Très souvent la nuit m’a chassé de mon lit : les canaux.” Qu’est-ce qui vous a inspiré ce regret profond ?
SP : Quand on regarde ces enfants des rues, ceux qui dorment dans les canaux, qui n’ont pas de foyer fixe, qui errent sans se soucier de se nourrir ou de leur avenir, et qu’on les voit trempés par la pluie, ça ne peut que susciter un profond regret. J’ai pensé à eux en écrivant ce texte, me demandant comment ils passent leurs nuits quand les eaux de pluie les chassent de leurs abris de fortune.
CC : Dans votre recueil “Goma, du sang sur l’or”, on lit votre amour de la patrie et votre espoir pour la paix et la liberté dans l’Est de la RDC. Croyez-vous que cette région aura un jour la paix dont vous chantez dans vos textes révolutionnaires ?
SP : Oui, j’y crois fermement. C’est même cet espoir que j’exprime dans le recueil “Goma”. Je dis que tôt ou tard, cette guerre va finir. Nous comptons vraiment sur les efforts des FRDC (Forces Républicaines de la Défense du Congo) et les nouvelles règles mises en place pour y arriver.
CC : Pourquoi avoir choisi la poésie, un genre plutôt révolutionnaire, pour passer votre message ?
SP : J’ai choisi la poésie naturellement car j’aime le mystère qu’elle renferme. La poésie a longtemps été l’apanage des nobles, des génies et des princes qui s’exprimaient en énigmes et métaphores plutôt que dans un langage courant. J’aime ce jeu de codage du message. De plus, la poésie est une véritable passion pour moi, un feu intérieur que je dois exprimer. Quand je n’écris pas, je me sens enfermé, mais lorsque je me mets à écrire, je me sens libéré, léger, comme ayant déchargé un poids.
CC : La répétition est-elle voulue ou le fruit de votre inspiration dans vos poèmes comme “Crépuscule” ou “A Jason Sendwe” ?
SP: La répétition dans ces poèmes est voulue, il s’agit d’un style particulier appelé la villanelle, créé par Théodore de Banville. C’est une suite de tercets où le premier et le troisième vers de la première strophe reviennent tour à tour. Je suis particulièrement attaché à ce style et à la répétition des mots, que j’affectionne beaucoup. Je n’écris pas de recueil sans avoir au moins une villanelle, comme si le recueil n’était pas complet sans.
CC : Quels sont vos modèles et influences en poésie ? On a senti une ressemblance avec le style du rappeur MC One dans certains de vos poèmes.
SP : Vous avez raison, il y a effectivement une influence du rappeur MC One que j’apprécie, notamment dans le poème “Passé amer” où l’on retrouve des similitudes avec sa chanson “Petit Bouba”. Cependant, mes principaux modèles en poésie sont les grands noms classiques, les “poètes d’or” qui ont fait de la poésie un art noble et mystérieux, digne des palais royaux. C’est cet univers poétique que je cherche à retranscrire dans mes propres créations.
Je ne connaissais pas l’artiste Mc One avant. Mes poètes préférés sont Kery James, Victor Hugo et Molière.
CC : Vos recueils abordent non seulement la mélancolie et la guerre, mais aussi l’amour, comme on peut le sentir dans Des débuts du commencement et À Goma. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes et aux lecteurs qui veulent suivre votre chemin de dire la vérité sur ce qui se passe dans notre pays ?
SP : À ceux qui voudraient suivre nos pas, je leur conseille d’abord d’être vrais et authentiques, de s’aimer et de s’accepter tels qu’ils sont. Quand on s’aime, on peut alors faire quelque chose pour les autres. Mais il faut aussi travailler avec persévérance et patience pour atteindre le succès. Trop souvent, les gens abandonnent quand ils ne voient pas de résultats immédiats, mais c’est en persévérant qu’on peut y arriver.
Propos recueillis par Grady Bizaki