Kimia se traduit en français par silence, selon Mustache, l’artiste visuel qui offre au cercle culturel une série artistique. Les œuvres de Mustache s’offrent le luxe de côtoyer la réalité congolaise de manière directe. De Kipushi à Lubumbashi et aux autres confins de la grande République, Mustache palpe les résidus de l’époque coloniale. Il ne s’agit pas de la manifestation d’une nouvelle colonisation, mais des conséquences qui résistent à la vétusté du temps.
Dans Kimia, l’artiste brandit le silence expressif qui, bien que silencieux dans la photographie, en tant qu’objet matériel, bruise le contenu du silence que cette photographie exprime.
L’expressivité poétique et la transcendance de l’œuvre de Mustache reposent sur une exploration approfondie des regards. Le regard se présente comme l’expression de l’âme, du milieu, des sentiments les plus profonds qui se manifestent dans chacun des mouvements que Mustache a photographiés. Il a photographié le temps !
Les mouvements que ces regards expriment soulèvent des interrogations sur la réalisation de soi, la possibilité de s’ouvrir au monde en laissant derrière soi un passé, ce fantôme qui ne cesse de hanter ce peuple. Ces regards photographiés révèlent les désirs des enfants, des jeunes et des personnes âgées. L’artiste illustre les trois périodes de la vie humaine. L’enfance représente le moment où s’ancrent les racines de l’existence sur terre. Mais ici, il s’agit d’une enfance volée, réclamée par certains regards.
L’éboulement de terres survenant dans les camps de mines où travaillent les enfants laisse des marques indélébiles sur leur corps. C’est à travers ces regards que l’artiste visuel Mustache communique ces réalités. Il présente des enfants ayant des instruments de travail entre les mains, le regard rivé sur les pierres dites précieuses, l’une des premières richesses du Congo, représentées par des pierres extraites de la mer. Ces conditions suscitent en eux un désir d’accomplissement personnel ; toutefois, privés de leurs jambes, ils se voient contraints de vivre le restant de leur vie ainsi…
La jeunesse, cette phase de la vie qui s’apparente au vent et à la fumée, s’écoule si rapidement qu’il est difficile pour quiconque de la saisir. Elle est ici exprimée à travers des regards empreints de questionnements et débordant de résilience, affirmant qu’au-delà de la souffrance, il est essentiel de vivre l’instant présent, le Carpe Diem.
La vieillesse est le moment le plus précieux où l’homme vit la plénitude du fruit de son travail. Cependant, ces regards photographiés mettent en lumière des personnes âgées qui traversent Kipushi vers d’autres contrées. Est-ce donc une vieillesse qui espère une autre forme de vieillesse pour travailler ainsi ?
Par ailleurs, une partie aussi remarquable des œuvres de Mustache met face aux spectateurs le désir de déracinement. Elle exprime, dans le silence de la photographie, l’amour pour l’ailleurs de l’homme noir. Ce dernier semble éprouver du mépris envers sa propre identité pour s’approprier celle de son gourou. N’est-ce pas un résidu de l’époque coloniale ? Certainement. L’homme noir ne veut pas se débarrasser de l’odeur du père.
Cette œuvre mastodonte du silence, qui dit plein de bruits, est l’une des merveilles de la production artistique de Mustache. Ce dernier dénonce, de manière plus simple, ce qu’ils ont fait et ce que nous devons faire. Tel est le sens et l’essence de l’œuvre grandiose de Mustache.
Jonathan IKAMI KIWU, Critique