« Qui peut prétendre faire de la poésie sans prendre position ?». Cette interrogation faite aux artistes par un des plus grands poètes français semble prendre vie dans l’esprit de beaucoup d’artistes. Les artistes, en particulier ceux qui manient la parole, semblent être en pleine prise de conscience de leur rôle social.
À titre d’exemple, « Qui es-tu ?» est un spectacle qui s’aventure dans la quête identitaire de l’homme africain. il s’interroge sur la place qu’occupe l’Afrique sur l’échiquier international, le rôle de la femme moderne face à la folklore primitive. Autant de questions qui taraudent l’esprit Patricia Kamoso, une jeune slameuse du collectif Bukavu slam session, reçue en interview exclusive à Goma par la rédaction de Culture Congo.
Culture Congo : Pourriez-vous nous parler de votre genèse dans le slam ?
Patricia Kamoso : J’ai commencé le slam il y a maintenant six ans. J’ai débuté au collectif Bukavu Slam Session et j’y suis encore active. Comme vous pouvez le savoir, le début n’as pas été facile étant donné que j’étais la seule fille et la plus petite du collectif. J’ai quand même avancé et j’ai beaucoup appris et c’est après que j’ai créé mon spectacle en 2022 que j’ai livré à l’institut français de Bukavu, au festival Ngoma à Kisangani où on m’a invité pour le même spectacle et au festival Vuga à Bujumbura (Burundi) et je viens de le jouer à Goma. Au-delà du fait d’avoir fait plusieurs prestations, ça a été la chose qui a boosté un peu plus ma carrière. J’ai aussi participé à plusieurs festivals dans la région.
Culture Congo : Qu’en est-il de votre spectacle que vous avez présenté à Goma ?
Patricia K : Ce spectacle est un profond questionnement de l’africain sur son identité la plus authentique. Il parle également des relations France-Afrique mais aussi des relations internationales, il parle de la femme et des préjugés qu’il y a sur elle. C’est un moyen pour moi de sensibiliser les autres filles à aller au-devant de la scène parce que ce spectacle a, au début, été inscrit dans le programme slam au féminin de Bukavu Slam Session. C’est dans le cadre de mettre en avant les femmes que j’ai voulu monter ce spectacle.
Culture Congo : « On reconnaît un moine par son habit, mais ce dicton n’est plus de coutume », peut-on déduire de votre spectacle. Est-ce inspiré d’une situation que vous avez vous-même vécue ?
Patricia K : (sourire) justement, c’est de là qu’il est parti. C’était non seulement un questionnement sur la situation qu’on vit, mais aussi un questionnement personnel. Au départ, quand j’ai commencé avec cet art, il y avait beaucoup de gens qui me décourageaient. Alors je me suis demandée ce que je vais faire moi-même. Cette question m’a amenée à me demander qui est-ce que je suis au fond de moi ? Est-ce que je suis réellement une artiste ? Est-ce que j’ai réellement envie d’apprendre et d’adhérer à cette carrière-là ? Et cela a ramené toute une panoplie de questions en moi et je me suis dit que peu importe ce que les autres voient de nous, il nous faut même connaître qui nous sommes et lorsque c’est fait, c’est très facile pour nous d’emprunter le chemin voulu.
Culture Congo : Quel message transmettez-vous au public, à travers votre spectacle ?
Patricia K : Au fond, je ne dirais pas qu’il y en a un de particulier mais chacun prend en fait ce qu’il trouve, comme vous par exemple, vous avez pris le dicton (…) Mais au fond, il est question de se demander soi-même qui on est. Et de savoir nos valeurs qui nous permettent d’être ce que l’on est, et ce qui fait la différence entre nous et les autres.
Culture Congo : vous évoquez la question de l’identité africaine, quelle est votre vision par rapport à ce sujet ?
Patricia K : Je dirais qu’en Afrique on a eu tendance à trop vouloir imiter les autres jusqu’à nier notre propre identité. Il est vrai que nous ressentons aussi le besoin de vouloir évoluer, d’avancer mais ce n’est pas au prix de tuer notre propre culture, en oubliant ce que nous sommes. Mais cette identité, je l’ai même élargie sur le côté femme et homme du fait qu’aujourd’hui on veut pousser la femme à être quelque part un homme pour lui montrer qu’elle a de la valeur. Moi j’ai voulu montrer qu’il faut rester femme par ce qu’on est naturellement différentes de l’homme, physiquement mais qu’on a des capacités mentales qu’on devrait prendre en compte plutôt que le physique.
Culture Congo : Vous vous êtes lancée dans une dimension où vous combattez les armes par la parole, est-ce vrai ?
Patricia K : C’est ça l’idée, j’ai toujours été touchée par la situation de notre pays, et comme je ne peux pas combattre au front comme un soldat, je me dis que je peux mener un petit combat à mon niveau. Histoire d’apporter ma petite pierre pour la construction de cet édifice. Alors je me dis que je dois utiliser ma parole pour combattre toutes les mauvaises choses qui s’y passent. Les mots que j’utilise me permettent de placer un message, de placer mon opinion, de sensibiliser et me battre pour des causes qui sont justes.
Culture Congo : on espère bien que votre bataille ne se limite pas qu’au Congo puisqu’il se remarque que vous tenez tête à toute la communauté internationale.
Patricia K : Je n’ai pas voulu simplement limiter la question à l’africain simplement. Au fond, tout le monde est concerné. Il n’est pas que l’apanage du Congolais ou de l’Africain. C’est pourquoi j’ai voulu lancer la question au niveau international parce qu’il se remarque une crise dans les relations internationales et c’est important de soulever les questions qui ont été débattues au sommet France-Afrique dans les années précédentes. Tout le monde doit se remettre en question et se demander ce quoi sa part de responsabilité dans tout ce qui se passe.
Culture Congo : Vous êtes en pleine tournée dans le cadre de ce spectacle, est-ce pour vous une grande réalisation jusqu’à présent ?
Patricia K : Justement ! Et j’irai même jusqu’à dire que ce serait la plus grande de pouvoir en finir avec cette tournée. Je l’ai déjà fait dans quelques villes et je compte maintenant le faire au niveau national. C’est pourquoi je vise déjà la ville de Lubumbashi, Kinshasa juste après Goma et après il y aura peut-être Kolwezi, et les autres provinces et je voudrais que ça soit vraiment une tournée qui se fasse à la nationale. J’y travaille et j’espère que ça va marcher.
Culture Congo : Quels sont vos projets futurs juste après cette tournée ? Doit-on s’attendre à un grand projet en gestion ?
Patricia K : Oui, il y a des projets. C’est par exemple un son que j’enregistre en ce moment qui a comme titre “Un verre de trop” et je pense pouvoir le sortir au mois de mai si tout se passe comme prévu. Et après, j’ai un autre projet sur lequel je me penche actuellement avec des filles de Goma, Bujumbura, et Kigali, on essaie de faire un projet en commun c’est aussi au mois de mai. Pour le reste, je pense que ça va venir petit à petit.
Propos recueillis par Jospin Chishugi (Goma)