Depuis plusieurs décennies, l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) vit dans l’ombre d’un conflit qui a fait des millions de victimes, déplacé des millions d’hommes, de femmes et d’enfants, et détruit les fondements mêmes de la vie sociale, économique et politique dans la région. La récente proposition de paix portée par les États-Unis entre la RDC et le Rwanda, annoncée comme une avancée majeure, est une occasion historique. Mais elle soulève aussi de nombreuses questions cruciales, notamment sur les bénéficiaires réels de cet accord et la manière dont il pourra véritablement changer le quotidien des populations.
Dans cette tribune, je souhaite porter une vision critique qui place l’humain au cœur de toute démarche de paix, rappelant que les populations restent les premières victimes et doivent être les premières bénéficiaires d’un accord durable.

La paix ne peut être réduite à un accord diplomatique
L’annonce récente d’une déclaration de principes signée à Washington, la préparation d’un accord formel attendu pour aujourd’hui vendredi 27 juin 2025, sont présentées par la diplomatie américaine comme des succès. Ces documents engagent la RDC et le Rwanda à cesser le soutien aux groupes armés, respecter leurs frontières et travailler à la stabilisation régionale. Cependant, ces avancées formelles, aussi nécessaires soient-elles, ne doivent pas faire oublier la complexité profonde du conflit qui se joue depuis des décennies.
La paix ne se décrète pas seulement autour d’une table. Elle se construit dans les villages, les quartiers, les forêts où se cachent encore des milices. Elle se mesure au degré de sécurité que peuvent espérer chaque jour les familles, aux droits reconnus des femmes victimes de violences sexuelles, au retour des enfants enrôlés comme combattants, à la reconstruction des écoles et des hôpitaux. Or, souvent, les accords précédents sont restés des feuilles de papier faute d’une véritable traduction sur le terrain.

Prioriser la sécurité et la dignité des populations civiles
Le premier impératif, qui doit guider toute démarche de paix, est la protection immédiate et effective des populations. Les violences quotidiennes (massacres, viols, pillages) constituent une tragédie humaine sans nom. Mettre fin à ces horreurs doit être la priorité absolue.
Le futur accord doit donc comporter des engagements clairs et contraignants des États, et des acteurs armés, à cesser toute forme d’agression. Cela suppose un véritable désarmement des milices, mais aussi des garanties concrètes sur la sécurité de toutes les communautés, y compris les plus marginalisées. Il est impensable de signer un texte qui laisserait encore place à l’impunité des groupes armés.
Justice et reconnaissance : fondements de la paix durable
Il ne saurait y avoir de paix durable sans justice. Trop souvent, les populations congolaises ont vu leur souffrance niée, leurs blessures ignorées. La question de la reconnaissance des torts historiques, notamment l’ingérence militaire rwandaise dans l’Est congolais, est une pierre angulaire. Cette reconnaissance ne doit pas être un simple aveu de façade mais s’accompagner de mécanismes de vérité, de réparation et de justice.
La paix ne peut pas reposer sur l’oubli ou la négation. Elle doit s’appuyer sur une démarche sincère où les responsables des exactions soient sanctionnés, où les victimes soient entendues et réparées. Sans cela, la rancune, la méfiance et le ressentiment continueront à miner les fondations de la coexistence pacifique.
Gouvernance locale et inclusion des communautés affectées
L’histoire récente a montré que les populations locales sont souvent exclues des négociations de paix, alors même qu’elles vivent les conséquences directes du conflit. Pour éviter un nouvel échec, il est essentiel d’associer les communautés affectées à la définition des mesures de paix, notamment en matière de désarmement, de retour des déplacés et de reconstruction.
Les chefs locaux, les représentants des femmes, des jeunes, des organisations de la société civile doivent être pleinement intégrés dans le processus. Cette inclusion est une condition sine qua non pour restaurer la confiance, favoriser la réconciliation et garantir que les politiques de paix répondent réellement aux besoins du terrain.
Gestion transparente et équitable des ressources naturelles
L’un des enjeux majeurs de ce conflit est le contrôle des ressources naturelles, en particulier les minerais stratégiques (cuivre, cobalt, lithium, coltan). La proposition américaine, en intégrant des investissements dans ce secteur, montre que la paix a aussi une dimension économique incontournable.
Cependant, la gestion de ces ressources doit se faire dans une totale transparence et au bénéfice direct des populations locales. Trop souvent, l’exploitation minière profite à des multinationales ou à des élites, tandis que les communautés locales subissent pollution, expropriation et misère.
Il est donc indispensable que la convention intègre des clauses garantissant :
- une redistribution équitable des revenus issus de l’exploitation,
- la création d’emplois locaux,
- le respect de l’environnement,
- et le développement d’infrastructures sociales (écoles, santé).
Ce volet économique ne doit pas être un prétexte à la poursuite d’une domination extérieure mais un levier pour le développement durable des territoires.
Surveillance internationale indépendante et responsabilisation
Les précédents accords de paix dans la région ont souvent échoué par manque de suivi rigoureux. Cette fois, un mécanisme de contrôle indépendant, accessible et transparent est indispensable. Il doit impliquer non seulement les États signataires et les organisations internationales (ONU, UA), mais aussi la société civile.
Ce dispositif doit pouvoir sanctionner rapidement toute violation des engagements, protéger les droits humains et assurer un dialogue permanent entre les parties prenantes. Sans un tel cadre, le risque est grand de voir les engagements se déliter, nourrissant une nouvelle spirale de violence.
La convention de paix RDC-Rwanda en gestation est une opportunité à ne pas manquer. Elle peut être un tournant pour la stabilité de toute la région des Grands Lacs, pour la sécurité des populations, et pour une meilleure gouvernance des richesses naturelles.
Mais cette paix ne doit pas rester un accord diplomatique au goût froid et lointain. Elle doit devenir une réalité vécue par les femmes, les enfants, les hommes de l’Est congolais et du Rwanda, qui aspirent à la sécurité, à la justice et à un avenir digne.
Le défi est immense, mais il est à la mesure de la souffrance endurée et de l’espoir à raviver. La paix véritable commence par l’écoute et le respect des populations, et par la volonté sincère de bâtir ensemble un avenir de dignité et de prospérité partagée.
Niamba Malafi
Auteur et observateur des dynamiques culturelles en Afrique centrale et dans la diaspora africaine, artiste pluridisciplinaire, entrepreneur culturel et initiateur du Salon des Bruits des Villes Africaines.