Dans l’effervescence de Kinshasa, le jeune artiste Samuel Mwani utilise son objectif pour révéler les identités fictives et les barrières invisibles qui fracturent le quotidien de sa génération.
Né en 1999 et diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, Samuel Mwani s’est imposé comme une voix essentielle de la photographie urbaine contemporaine. Vivant et travaillant dans sa ville natale, il documente avec une acuité remarquable les performances artistiques, l’urbanisation frénétique et les mouvements de jeunesse qui animent l’espace public kinois. Son travail, maintes fois exposé du virtuel au international , transcende la simple captation du réel pour interroger les processus identitaires et les fractures sociales.

Son projet phare, Identités imaginaires , se penche sur deux groupes de jeunes Kinshasa : les “ Américains ” et les “ Arabes ”. Ces derniers, influencés par des cultures occidentales exogènes, se construisent des identités de fiction, déconnectées de leurs racines. Mwani engage avec eux un travail collaboratif, produisant des portraits et des collages où se mêlent artefacts visuels étrangers et réalités locales. Cette juxtaposition crée un dialogue visuel saisissant, mettant en lumière la tension entre l’être et le paraître, le réel et l’imaginaire.
À travers ce prisme, l’artiste explore les barrières immatérielles ethniques, culturelles, sociétales qui divisent les hommes. Il capture l’indicible , ces frontières du cœur, de l’esprit et de la langue qui confisquent libertés et droits. Son approche ne se contente pas de constater ; elle cherche à renouer des liens rompus entre les communautés, offrant un espace de réflexion sur une réalité souvent tue.

La pratique de Mwani puise sa gravité dans l’histoire sombre de la République Démocratique du Congo. Hanté par le génocide qui ravage l’Est du pays depuis plus de dix ans, son travail interroge la responsabilité individuelle et collective dans la perpétuation des violences. Il dénonce la manipulation des outils de communication, vecteurs de discours haineux et de maintien des clivages. En combinant différents médiums, il convoque la mémoire collective comme un rempart contre l’oubli et la répétition de l’histoire.
Ses images, bien que ancrées dans un contexte local, atteignent une portée universelle. Elles montrent des paysages et des visages marqués, mais aussi une résilience obstinée. Chaque cliché, chaque collage, est une invitation à regarder en face les cicatrices visibles et invisibles d’une nation et, par extension, de l’humanité.

Samuel Mwani est bien plus qu’un photographe : c’est un archéologue des identités modernes et un cartographe des fractures sociales. Son art, subtil et percutant, ne se contente pas de montrer les murs qui nous séparent ; il offre des percées, des brèches par où pourrait s’engouffrer le dialogue. Dans le clic de son appareil photo réside l’écho d’une question urgente : comment reconstruire, ensemble, ce que la violence a divisé ? Son travail est un appel à regarder, à comprendre, et finalement, à reconnecter.
Franklin MIGABO