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Cinquième jour
J’active d’un seul clic le commutateur de la baie vitrée opaque équipée de verre actif, et sa transparence augmente jusqu’à me laisser une vision parfaite sur l’extérieur. Dehors, le ciel est clair : la kyrielle de drones habituels survole les minarets de la grande mosquée émergeant du paysage urbain. A l’horizon, les reflets irisés du soleil sur la méditerranée se devinent à travers les carreaux sales. Le vent de la nuit a nettoyé les nuages et un beau soleil d’hiver inonde la pièce, laissant peu de répit au cuir de mon vieux canapé éventré. Une tasse de café ébréchée à la main, je parcours en pantoufles les titres du journal sur mon écran : « La tramontane sévit : électricité coupée dans deux villages suite à des chutes d’arbres. La mise hors service du parc éolien de Massalium affecte toute la région ». Le cri rauque d’une mouette couvre partiellement les mélopées arabisantes du voisinage.
Le visiophone clignote avec son bip des communications internationales non reconnues. L’écran affiche : un nom qui a l’air africain, “Kinshasa, Congo” et un numéro de contact. Je prends l’appel, en fronçant les sourcils. Sur l’écran apparaît une femme noire en uniforme bleu marine. Derrière
elle, un fond de cartes topographiques semble couvrir le mur digital.
– Allo Monsieur Bouchart ?
– Oui, c’est bien moi.
– Je vous appelle du bureau des Nations Unies au Congo, Monsieur. Nous cherchons à contacter Stella Bouchart… Savez-vous où je pourrais la joindre ?
– Euh oui, enfin, elle est quelque part au Congo, je crois.
– Vous êtes de sa famille proche ?
– Oui, parfaitement, je suis son père.
– Bien. Monsieur, vous n’ignorez sans doute pas que votre fille travaille effectivement avec
nous auprès de l’OMICO. Nous vérifions ses contacts car nous sommes nouvelles depuis
quelques jours et…
– Depuis quand ?
– Depuis ce vendredi 22 janvier 2060…
– Mais cela fait déjà cinq jours ! Avez-vous contacté sa mère ? D’autres personnes ?
– Oui, bien sûr Monsieur, nous avons contacté tous ses collègues et amis connus sur place.
Nous avons pu joindre Madame hier. C’est d’ailleurs elle qui nous a donné votre numéro.
Personne ne sait où elle est. Avant de démarrer une enquête plus formelle nous cherchons à éliminer toute possibilité, vous comprenez ?
Perplexe, sentant l’angoisse m’envahir, je réponds machinalement un « Oui, bien sûr… ». La tête me tourne : je n’entends plus rien. Où peut-elle bien être ? Ce n’est pas son genre de disparaitre comme ça. Qu’est-ce qui a bien pu lui arriver ? Une folle aventure amoureuse ? Un kidnapping ?
Je réalise que je ne me suis pas beaucoup intéressé aux activités de ma fille ces derniers mois…
Je sais à peine qu’elle est au Congo. Je l’imagine perdue en forêt avec des pygmées, assise sur un tabouret minuscule prenant des notes devant une hutte de branchages, luttant contre les insectes. Mon interlocutrice me ramène à la réalité :
– Monsieur ? Quand avez-vous eu de ses nouvelles pour la dernière fois ?
– Laissez-moi réfléchir… Cela fait plusieurs mois… Nous sommes un peu en dispute, vous comprenez ?
***