Son Excellence Monsieur le Président de la République
La mort vient de frapper un homme qui n’appartenait pas qu’à lui-même. Le Professeur Valentin Yves Mudimbe n’était pas seulement un écrivain, un philosophe, un fils du Congo. Il était une langue entière, un pays dans le pays, une pensée qui refusait de se coucher. Et aujourd’hui, alors que son corps s’en va, nous restons là, debout, avec cette question : que faisons-nous de nos
géants ? Les enterrons-nous deux fois ?
Nous savons honorer ceux qui font vibrer les stades et danser les foules. Nous le faisons avec
raison, car ils portent haut nos couleurs. Mais si nous ne savons célébrer que les muscles et les mélodies, que dirons-nous à l’histoire ? Que nous fûmes un peuple de gestes, mais pas de pensée
? Que nous avons eu des corps, mais pas d’idées ?
Le Professeur Mudimbe a amené notre drapeau au sommet de la philosophie mondiale. Par les livres. Par ces phrases qui traversent les frontières et les siècles sans demander de visa. « L’Odeur du père » pour lequel j’ai une affection particulière, « L’invention de l’Afrique », «
Entre les eaux » et tant d’autres, ces titres sont des actes de résistance. Des preuves que le Congo
n’a pas seulement des jambes pour courir et des voix pour chanter, mais aussi un esprit pour éclairer le monde.
Aujourd’hui, Monsieur le Président, je vous demande d’accorder à ce géant des funérailles nationales. Non par formalité, mais parce qu’un pays se construit aussi autour de ses modèles intellectuels. Parce que nos enfants doivent savoir qu’on peut servir le Congo avec un stylo aussi
bien qu’avec un ballon.
Mais plus encore, je vous demande de permettre que ce fils du Congo, contraint à l’exil par les vicissitudes de notre histoire , puisse enfin retrouver la terre de ses ancêtres. Qu’il repose auprès de ceux qui l’ont précédé, dans cette paix éternelle que son pays natal n’a pu lui offrir de son vivant.
Qu’il ne demeure pas à jamais un exilé, même dans la mort.
Ne laissons pas dire que notre grandeur ne se mesure qu’aux trophées et aux disques d’or. Nous avons aussi nos batailles gagnées sur le front des idées. Nos victoires silencieuses qui, pour ne pas faire de bruit, n’en ont pas moins changé des vies.
Athènes pleurait ses penseurs autant que ses guerriers. Le Congo peut-il faire moins pour l’un des siens ? Je ne vous demande pas un geste administratif, mais un redressement.
Que le Professeur Mudimbe soit notre rappel : nous sommes aussi un peuple qui pense, qui écrit, qui interroge
l’univers.
Nous avons trop souvent laissé partir nos étoiles sans leur rendre les honneurs qu’elles méritaient.
Ne recommençons pas. Ne laissons pas le monde croire que nos seuls héros sont ceux qui marquent des buts et ceux qui font tourner les reins avec ce légendaire geste circulaire des hanches.
Monsieur le Président, en cette période où vous guidez notre Nation vers sa renaissance, vers l’unité et la réconciliation, quel plus beau symbole que d’offrir à ce grand esprit le retour ultime que mérite son immense contribution ? Que son corps retrouve la terre qui l’a vu naître, et que son âme retrouve enfin la paix auprès des ancêtres.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.
Peter KOMONDUA