A la célébration du sacre, lors de la fête du livre de Kinshasa, d’un compatriote congolais devenu autrichien, qui ne fait que gagner des prix littéraires outremer, même ici au continent, étant le dernier lauréat du prix ” Les Afriques”, après une domination sans partage des compatriotes de Wole Sonyika (Prix Nobel de la littérature nigérian), on m’avait incombé la tâche de faire la recension de son dernier roman intitulé ” La danse du vilain “, lors d’un ” Je dis Critique ” au Centre Wallonie Bruxelles de Kinshasa, pendant lequel on a exposé sa photo dans la bibliothèque dudit Centre.
Voici in extenso le contenu de mon Laïs.
Fiston Mwanza Mujila, c’est le nouveau virtuose congolais de l’écriture évoluant outremer, dont la réputation commence à envahir son pays d’origine : la RDC.
Pendant la fête du livre de Kinshasa, qui s’est tenue du 4 au 12 février 2022, plusieurs ovations avaient été faites à ce démiurge, en vue de célébrer son sacre dans le monde littéraire d’ici et d’ailleurs. Le mercredi 9 février par exemple, j’avais été convié à une cérémonie de certification de ses talents, à travers un assemblage de ses textes poétiques, avec la musique de Lenyema, organisée par la Plateforme Contemporaine, en collaboration avec l’Institut Français de Kinshasa, en plein quartier Bon Marché, non lui du célèbre dancing-club « Cheetat, akanga kanga coin ti coin », voire « Le Carré Club de Kinshasa », où se tiennent jusqu’à l’aube les « mayangani » de grands ambianceurs kinois.
Mais étant complètement accaparé par la lecture de son dernier et ahurissant roman, titré la « Danse du Vilain », où on ne sait pas d’emblée situer le personnage principal, tellement apparaissent sur scène, l’un après l’autre, comme dans une dramaturgie, des iconoclastes du genre Molakissi, Sanza, Ngungi, Le blanc, la Madone de Canfunfu, Franz, l’écrivain Autrichien, le fou de Mambo de la fête, de même que l’implacable M. Guillaume, et j’en passe, que je n’avais pas pu, à mon corps défendant, prendre part à cette extraordinaire manif culturelle, ayant lieu dans un des quartiers les plus chauds de la capitale congolaise.
C’est d’ailleurs ce qui fait que jusqu’à la séance dont question ici, je ne connaissais ce prodige littéraire ni d’Adam ni d’Eve. Et quand l’organisateur de ce « Je dis Critique », qui se passe généralement un « jeudi », m’avait demandé de faire un commentateur sur lui, j’avais exigé qu’on me fournisse une de ses récentes publications, pour me faire une idée exacte de la quintessence de cette plume tant vantée. Car, les diverses critiques lues sur Internet au sujet de sa corpulente prestation littéraire m’avaient donné l’impression d’être en face d’une approche un peu trop dithyrambique, sûrement pour le besoin du marketing.
Mais lorsque j’avais pris possession du roman ci-haut cité, j’avais aussitôt compris que son auteur avait vraiment les couilles, et que son plébiscite, à l’interne comme à l’international, n’avait pas une fragrance factice. Déjà, la lecture du synopsis de ce roman de plus ou moins 260 pages, réparti sur 54 chapitres, si je ne me trompe pas, dont chacun débute par un titre qui fait office de son résumé, m’avait renseigné que cet ancien compatriote congolais, la quarantaine accomplie, vit à Gaz, en Autriche, où il enseigne la littérature africaine, puisque détenteur d’une licence en lettres et sciences humaines de l’Université de Lubumbashi, dans l’ancienne province du Shaba (Katanga), la plus méridionale de l’ex République du Zaïre (RDC).
Ainsi étais-je dès le départ subjugué par le fait qu’aucune autre mention des études autres que celle ci-haut indiquée n’avait justifié son ascension exponentielle dans le monde littéraire, en tant que praticien et théoricien. Cela avait été pour moi un réel motif de joie, dès lors convaincu que ceux qui disent que « rien de bon »ne pouvait sortir des universités congolaises sont des bonimenteurs, des paltoquets, voire des sycophantes.
Après avoir écrit plusieurs recueils de poèmes et pièces de théâtre, notre crack de la littérature avait publié Tram 83, ces prémices romanesques, déjà traduites en 13 langues, lui ayant valu de somptueux panégyriques, assaisonnés de multiples et prestigieux prix littéraires ! Pour votre gouverne, Fiston Mwanza Kajila est le nouveau lauréat du prix dit Les Afriques ».
Quant à son roman titré « La Danse du Vilain », sa trame semble centrée sur Sanza, un mioche exaspéré par la vie familiale, qui a décidé, un peu à son corps défendant, de gagner la rue, puisque aussitôt que son ami Molakissi, dans la famille de qui il avait installé ses pénates, avait pris la tangente, pour se rendre vers ce nouvel eldorado qu’était devenue à l’époque la province de Lunda Norte en Angola, où ceux qui en savait toujours un peu plus que les autres prétendaient qu’on y ramassait les diamants de joaillerie à la pelle, on le pria sans sommation de vider les lieux.
Déguerpi sans ménagement de cette maison hier aimable mais devenue subitement hostile, Sanza fut donc contraint de rejoindre tant d’autres galopins de son acabit, ayant investi le parvis de l’hôtel de poste de la ville cuprifère de la RDC.Ainsi va-t-il désormais commercer avec de jeunes canailles du genre Le Blanc, avec Ngungi comme chef de bande, à qui ces seigneurs de la rue attribuaient de vastes pouvoirs de sorcellerie. Du fil à l’aiguille, le nouveau « Shegue » fit la connaissance d’autres gavroches vivant des rapines et autres combines astucieuses inhérentes à la pègre, des tenanciers de lupanars, des maquereaux, des agents de police véreux, etc., dans cette ville de Lubumbashi Wa Ntanshi, en pleine dégénérescence, mais toujours imbue de ses velléités sécessionnistes, où la conspiration contre le régime en place devint légion, où l’on prenait le train pour des destinations mirifiques, où le rêve de tout bambochard était d’atteindre la ville angolaise de Canfunfu, à l’instar de Molakissi, ce môme qui n’avait aucunement froid aux yeux, et qui avait réussi, en dépit de ses diverses effronteries, à se mettre sous la protection de la madone Tshiamuena, cette grande dame altière et bienveillante, dont l’âge remonterait de la nuit des temps, disait-on. En tout cas, on prêtait volontiers à cette matriochka d’origine zaïroise une vie antérieure dans l’Empire du Soleil Levant.
Et dans cette situation déjà trop alambiquée, pour ne pas dire déjà trop compliquée, on verra surgir Franz, un écrivain autrichien, qui s’est incrusté dans cet univers cocasse, dans le chef d’écrire son premier roman, dont l’intrigue devrait avoir comme soubassement le cheminement de la lutte d’anciens gendarmes katangais, ayant trouvé asile en Angola. Mais séduit par l’étrange personnalité de Dona Tshiamuena, il prit l’option de faire de l’exaltante et longue vie de cette femme bicentenaire, redoutée et adorée par ses compatriotes venus chercher un bonheur urgent à Canfunfu, le leitmotiv de son roman.
Dans ce monde d’impitoyables confrontations armées entre les partisans de l’Unita et les militaires loyalistes du MPLA, les téméraires compatriotes de Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Zabanga s’activaient, eux, à chercher le diamant sous terre, ou sur les lits des rivières profondes et tumultueuses, dans des conditions souvent sujettes à caution. Et dans ce monde hallucinant, voire d’hallucinations, cette femme mitigée apparaissait, elle, comme une permanentecuriosité. Notre Apprenti écrivain venu de l’Autriche, futur membre de l’Ajeco, si bien entendu il se naturalisait congolais, tout comme Fiston Mwanza Kajila était devenu,lui, autrichien, va bientôt être essoufflé, tellement obnubilé par les récits fantasmagoriques du personnage principal de son futur roman, qui se mit à le mener en bateau, entre ses incantations et ses mystifications loufoques, où la lisière entre la vérité et la fumisterie avait très peu d’épaisseur. Sur recommandation de Molakissi, Franz va alors se rendre à Lubumbashi, toujours à la recherche des ex gendarmes katangais, avec comme bagages juste une valise remplie de mots, et de phrases.
Et aussitôt qu’il mit ses pieds sur le sol en latérite du chef-lieu de l’ancienne province du Shaba (le Katanga, au sud de la RDC, il sera entraîné dans l’engrenage du « Mambo de la fête », le point focal de tous les nuitards de la ville chère aux mangeurs du cuivre, où la «Danse du Vilain » faisait la loi, entrecoupée de temps en temps par la suavité des classiques de la Rumba Congolaise, avec au menu Wendo Kolosoy, Lucie Eyenga, Jean Bosco Mwende wa Bayeke, l’Afrisa International du Seigneur TabuLey, l’OK Jazz du Grand Maître Franco Luambo Makiadi, l’orchestre Vévé du grand saxophoniste Verckys Kiamuangana, le Viva La Musica de Papa Wemba, avec sa danse « Kila Mogrosso », à partir de laquelle l’auteur avoue avoir imaginé celle du vilain.
Ainsi va-t-il se retrouver dans les sinuosités de cette ville cosmopolite, en compagnie d’ex gendarmes katangais qui s’amusent à jouer aux « anars », des enfants de rue et filles de joie qui font les mouchards, des sbires de la sécurité nationale qui n’hésitent pas à zigouiller de supposés opposants, pour protéger un régime vacillant, d’un gourou puissant et chef de secte, qui se met à faire l’entremetteur, et “so on and so forth”.
Cette vie trop bousculée va vite faire des trous dans ses poches et l’amener à vivre de gracieusetés de ses hôtes, avec comme promesse de faire de ses bienfaiteurs des héros de son roman. L’écrivain autrichien va alors se retrouver dans le collimateur d’un mystérieux M. Guillaume, un tonton macoute patenté et sans scrupules, mais aussi un intello amoureux des Belles lettres, ainsi que sa police secrète, qui vont se mettre à ses trousses, pendant que le pouvoir qu’ils voulaient défendre était déjà aux abois, malmené par le surgissement de L.D. Kabila et son AFDL, qui s’étaient déjà emparés de toute la partie est de la République du Zaïre, et finalement de la ville de Lubumbashi, obligeant ainsi le dictateur à la toque du Léopard de prendre la poudre d’escampette, à partir de son retranchement doré de Kawele, à la grande liesse de diverses populations congolaises, qui ont ovationné généralement les « Libérateurs » en saccageant les édifices qui leur rappelaient trop la répression mobutiste.
Tout comme en Angola où, ayant pris conscience de la concupiscence de leurs voisins zaïrois, les autochtones s’étaient alors mis à leur rendre la vie difficile. Des malchanceux comme Molakissi, qui s’apprêtaient à rentrer au bercail le ventre bourré de matières précieuses, enfouies dans celles fécales, rentrèrent bredouilles, parfois même clamsés, au pays de leurs aïeux, où ils comptaient faire la bamboula avec l’argent facile du diamant du pays du Dr Savimbi, ou du Dr Agostino Neto, pourquoi pas de José Edouardo Santos.
J’arrête à ce niveau mon exploration de « La danse du Vilain », pour donner aux uns et aux autres la plausibilité de communier, à travers son livre, avec son auteur formidable, à qui je dis tout simplement chapeau bas ! En tout cas, celui-ci a su, dès son premier tableau, me faire revivre des souvenirs enfouis dans ma jeunesse, dans une écriture virevoltante et éthérée, qu’on découvre dans son magnifique roman, plein de musicalité, qui fait tranquillement la jonction entre les genres poétique, théâtral et narratif.
Mais s’il faut vraiment lui chercher les poux dans la tête, il va falloir lui demander d’où vient dans ledit roman le plébiscite de l’orchestre Vévé, qui n’est plus en lice depuis des lustres, anéanti par l’apparition, de 1972 à 1978, de l’orchestre Sosoliso et le trio Madjesi, composé dans son essence d’anciens chanteurs dudit orchestre Vévé, dans une intrigue qui se passe à la veille du 3eme millénaire, quand la Rumba Congolaise avait été « ndombolisée » par le Clan Wenge, dont il n’a presque pas fait allusion ? Alors qu’à la même période, JB Mpiana, le leader de Wenge BCBG, avait, dans sa chanson titrée « Bana Lunda », également abordé la problématique du diamant de l’Angola. A mon humble avis, Fiston Mwanza Mujila aurait été plus en accord avec la règle de la vraisemblance, s’il avait établi une passerelle entre son roman et la romance du leader des anges adorables, dont allusion avait été faite ci-haut.
On serait également tenté de lui poser la question de savoir d’où lui était venue l’audace de mettre dans son roman, abondamment en exergue alors, des mots ou expressions qu’on ne trouve pas, ou qui n’ont pas le même sens que son acception dans le dictionnaire, notamment « colle », « couper la bière », et tant d’autres de son propre cru ? Est-ce que notre célèbre champion de l’écriture ambitionne déjà, à l’instar du Dr Etienne Tshisekedi d’heureuse mémoire, qui a enrichi le lexique du « français congolais » avec le vocable dit « Antivaleur », d’imposer ses mots et expressions, issus de nos langues nationales à la communauté francophone mondiale ? En tout cas, cela sera tout bénef au « Franlingala ».
Mais le risque d’une telle entreprise se situe au niveau de la confusion que ce genre de faire pourrait créer dans la tête des lecteurs non branchés à ses codifications linguistiques. A titre d’exemplarité, j’aurais appris que lors d’une épreuve d’examen d’état, à la question posée aux élèves de sixième année secondaire, de savoir quel était le « plus haut sommet » de la RDC, certains quidams auraient carrément répondu : André Kimbuta !
Comme d’aucuns le savent, cette entorse à la connaissance géographique usuelle tirait sa source de certaines stars de la Rumba congolaise, notamment JB Mpiana, Werrason et épigones, qui avaient décrété que le gouverneur honoraire de la ville province de Kinshasa serait le « Haut Sommet ».
En fait, il n’est pas interdit à notre ami Fiston Mwanza Mujila de librement s’exprimer selon sa sensibilité créatrice, mais il serait plus élégant pour lui de signaler aux lecteurs vulnérables que lesdits mots ou expressions étaient sa propre trouvaille, par des artifices linguistiques idoines, notamment le soulignement, les italiques, les explications au bas de la page, pourquoi pas les guillemets.
Et puis, même si la répétition était la mère des sciences, l’usage à tout de bout de champs de mêmes vocables, tirades, ou boutades, comme notamment ” à la 4eme génération “, ” à la 6eme génération “, “à la 10ème génération”, etc., même si elle m’avait au départ paru extrêmement fantastique, avait fini par m’apparaître comme une réelle nuisance à la construction de la langue française.
D’ailleurs, pendant la Conférence Nationale Souveraine, Mgr Laurent Monsengwo Passinya, décédé Laurent Cardinal Monsengwo Passinya, avait à ce propos dit à l’un de ses interlocuteurs, qui paraissait un peu maladroit dans la gestion d’un discours excessivement, voire inutilement véhément, que si la langue de Voltaire était assez riche et variée, c’était pour qu’on ne puisse pas ennuyer ses auditeurs, (ou ses lecteurs) avec des rabachages impromptus.
On prendra également notre cher Fiston en grippe, en exigeant de lui une explication sur le « comment peut-on déjà vers 1996, traiter autrui de coronavirus, dans la turbulence des mines de Canfunfu, dans la province de Lunda Norte, où les règles barrières basiques étaient le cadet de soucis de divers cazabuleurs, porteurs, tamiseurs, trafiquants et autres traficoteurs » ? Est-ce que cet enquiquineur savait déjà à l’époque que cette pandémie dite Covid-19 allait décimer l’humanité plus de vingt ans après, tombant ainsi sous la coupe d’un délit d’initié ? A mon humble avis, ce genre de permissivité, due assurément à la désinvolture d’un écrivain très talentueux, peut-être déjà trop sûr de sa notoriété, risque d’entacher un tantinet sa créativité lumineuse, à moins qu’il puisse se réfugier derrière le bouclier d’avant-gardiste, qui va l’aider à justifier cette affaire par une démonstration par l’absurde. « En tout cas Masta, obungi rumba », devraient lui dire ses amis kinois, comme les Richard Ali, Me Bia, ou Hervey Ngoma, le poète de la République.
Toutefois, les quelques couacs ici relevés n’effacent en rien la sensation du bien-être généralisé que m’a procuré la lecture de la « Danse du Vilain », avec ses sopranos et ses contre-sopranos à la Papa Wemba, ainsi que ses multiples changements de fréquence mélodique à la Viva La Musica. Et pour vous montrer comment cet auteur singulier s’y était pris, je vais vous lire à haute voix ces quelques lignes de son roman, où la souplesse de sa plume rejoint la flamboyance de la réalité ambiante, même dans le milieu des sans voix, des sans toit, voulais-je dire, bref des Shegues :
- Papa Wemba ne déclarait-il pas que le style est une affaire du coup d’œil, et n’importe quelles guenilles peuvent bien vous aller, à condition de savoir les agencer ?
Voilà, toutes choses égales par ailleurs, le décorticage de « La Danse du Vilain », dans son fond comme dans sa forme, tel que l’a perçu ma modeste personne. Ainsi, après la lecture de ce roman exaltant, je puis désormais affirmer, sans crainte d’être contredit, que le bien nommé Fiston Mwanza Mujila, appellation bien contrôlée, est un prodigieux littérateur, qui mérite mes applaudissements, et surtout les vôtres. « Soki ondimi Fiston Mwanza te, en tout cas, sala mokili na yo ». (Si tu ne veux pas reconnaître la valeur littéraire de Fiston Mwanza, tu n’as qu’à a ta propre planète), affirment volontiers ses admirateurs kinois, que ce Lushois a bien réussi à dompter, si on s’en tient au buzz qu’il a créé à la Fête du Livre de Kinshasa.
Foi de Jean-Paul Brigode Ilopi Bokanga.