La « Décolonisation! ». C’est le maître mot, autour duquel, durant ces assises, toutes les aspirations et points de vue ont tourné. Les institutions académiques et artistes, ici, réunis du 18 au 21 Janvier 2016 à Kinshasa, n’ont pas mâché de mots quand à la possibilité d’une indépendance à s’octroyer afin de se débarrasser du joug mercantiliste et néocolonial du monde de l’art actuel. Des thèmes variés ont été épluchés, dans de groupes de discutions. Par exemple, le thème intitulé : « Institution de l’art et décolonisation », était axé sur l’histoire de l’art et l’artiste africain contemporain, face aux projets artistiques internationaux.
Les participants ont pris pour exemple, parmi tant d’autres, la récente, tant médiatisée, exposition « Beauté Congo 1926-2015 Congo Kitoko ». Un événement qui a fait couler beaucoup d’encres et de salives, en provocant diverses réactions dans les chefs de congolais et acteurs du monde de l’art. Les uns, décriaient le caractère néocolonial dans les critères d’appréciations et de choix d’œuvres présentées. Il s’y trouverait des critères basés sur l’ « exotisme primitif ou l’excentrisme débridé » (Lye M .Yoka). Les autres parlaient plutôt du business d’un marchant d’œuvres d’art.
Il faut aussi faire mention de certaines absences, très remarquables, de figures et maillons prépondérants de l’art contemporain en RD Congo, comme: Freddy Tsimba, Aimé Mpane, Roger Botembe, Francis Mampuya, Eddy Masumbuku, Vitshois Mwilambwe, Germain Kapend, Michel Magema, Yves Sambu, etc. Leur présence était obligatoire, du fait que cette exposition avait la posture de l’écriture de l’histoire de l’art de la RD Congo, et il fallait l’écrire avec tous les acteurs qui ont milité, individuellement et collectivement, pour son image actuelle ; et non, seulement se contenter de ceux avec qui on deal. Si non, il fallait l’intituler autrement, au lieu d’un titre engageant le pays tout entier ; dans une rédaction d’une histoire incomplète et pleine de trous en termes chronologique.
Les regards portés sur cette exposition n’étaient pas exclusivement négatifs. Pour les autres, c’est une opération marketing qui a, tant sois peu, redoré l’image du Congo; loin de la néfaste, véhiculée dans des médias occidentaux. Celle d’un Congo Capitale mondiale du viol, où rien ne fleurit…
En fait, visiblement, le commissaire de cette exposition est, pour certains, comme l’artiste Steve Bandoma, un « Diego-Cao artistique » ; donc, l’homme qui a découvert l’embouchure de l’art africain contemporain- en écrivant son histoire à son image.
Une aubaine pour le très populaire sculpteur kinois Alfred Liyolo Limbe, localement connu pour ses monuments et son art officiel ; ancré dans la vision nostalgico-anachronique et fervent défenseur de l’académisme, – pour crier haut et fort sa rage devant ceux qu’il qualifie d’ « aventuriers petits blancs, qui viennent nous mentir, en nous amenant :de la performance, des installations… ». Une réaction, forcement, face à son exclusion continuelle, ainsi que ses pairs, quand à l’écriture de l’histoire de l’art contemporain congolais. Il réclame leur place d’ « Avant-gardistes » de l’art plastique congolais, avec ce mouvement-réactionnaire qu’ils ont crée vers les années 1970, après le congrès extraordinaire de l’Association Internationale des critiques d’art (AICA), en 1971 à Kinshasa. Congrès durant lequel un critique d’art européen aurait dit que l’ « art congolais serait en retard de cinquante ans, par rapport à l’art européen ». Et depuis, naquirent des collectifs et mouvements artistique comme : les « Avant-gardistes », « Les grands ateliers », « Nouvelle génération », « Les sableistes », « Les artistes populaires », « Les ateliers Botembe », « Librisme », « Eza possible »…
André Magnin n’était pas le seul à être visé. Roger Pierre Turine, le critique d’art belge, avec son ouvrage « Les arts du Congo, d’hier à nos jours» ; avec André, ont été les échantillons représentatifs parmi tant d’autres « experts du Congo ou d’Afrique ». Des questions ont été posées, entre autre : décoloniser, les mentales et institutions, pour quoi remplacer ? Comment revoir les rapports avec le nord ? Comment mettre en place une stratégie sud-sud ? Comment faire pour ne pas tomber dans la paranoïa consistant à voir, abusivement, le néocolonialisme partout? Comment bien comprendre le concept de la « décolonisation » pour ne pas faire table rase ? Comment imiter l’exemple de la Chine ? Dans ce rendez-vous du donner et du recevoir, combien l’Afrique et le sud donnent –ils ? Et combien reçoivent ou subissent-ils sur cette scène artistique globalisée ? Et, l’art produit en Afrique et au sud, qui en sont les premiers consommateurs ?
Il a été, aussi, question de la problématique des rapatriements d’une partie du patrimoine matériel et immatériel des pays du sud, en général, et congolais, en particulier ; objets d’art et cultuels se trouvant dans des musées en accident, à l’exemple du Musée Royal d’Afrique Centrale(MRAC). Des débats sur les modalités et démarches à entreprendre, ainsi que des enjeux et perspectives visant le retour de ces chefs d’œuvres logeant Tervuren, en Belgique.
L’affaire de Sept congolais morts durant l’exposition universelle à Bruxelles (Zoo humain), en 1897 a aussi été évoquée. Cela a suscité des questionnements sur des rapatriements symboliques de corps, autant que celui de la venus hottentote en 2002 ; restituée par la France à la République sud africaine…
L’Académie des Beaux-arts de Kinshasa veut s’ouvrir
Le Directeur général de l’ABA de Kinshasa, dans son discours d’ouverture d’assises, a dit : « Un programme d’enseignement ne doit pas rester statique pendant un long moment, il doit évoluer …Il ne s’agit pas non plus d’imposer à l’artiste un modèle préconçu à recopier typiquement… Mais d’aider l’artiste à découvrir et orienter son talent, à s’exprimer librement selon sa créativité, son inventivité… ».
Ces propos rejoignent, vingt ans après, ceux de « Libristes ». En fait, pour la petite histoire, ce dernier est un mouvement révolutionnaire crée en 1996 par des jeunes artistes, alors étudiants de l’ABA, dont Francis Mampuya, Eddy Masumbuku et Germain Kapend. Ceux-ci, pour leurs actions sur terrain, ont été accompagnés par le critique d’art congolais Célestin Badibanga Ne Mwine en organisant des expositions par épisodes(Emergence), en 2001. Un mouvement insurrectionnel, qui a énormément contribué à l’éveil des consciences, dans la création d’œuvres d’arts fusant de soi-même, non dictées.
Ce mouvement, ainsi que ses émules et variantes tels que les Vicanos club de Lubumbashi, Librisme synergie, le collectif Eza possible, le collectif Kisalu kiambote, le collectif SADI, ont constituéun électrochoc ayant, pendant une vingtaine d’années, insufflé une nouvelle direction dans l’art en RD Congo, en introduisant de nouvelles pratiques artistiques qui tiennent compte du lieu et du moment. Les médiums exploités sont donc : La performance, les installations, la photographie artistique, la vidéo artistique, l’assemblage, la peinture, la sculpture, etc.
Des pratiques artistiques qui ne vident en rien l’identité de l’artiste africain contemporain, au contraire, l’accompagnent en le permettant de s’exprimer, avec sincérité, selon ce qu’il vit dans son environnement immédiat et lointain.
Avec l’ouverture que cette institution cherche, déjà ce symposium en est la preuve, point n’est besoin de se cramponner dans une logique ethnique stérile, et de développer des théories dépassées et démodés, surtout immobiles, en déphasage avec la vitesse du temps. Il est temps de savoir dire, définir, quantifier et tirer profit de l’apport, africain et congolais, dans la sphère de l’art « contemporain », et non en attribuer la totale paternité à l’occident ; et quelque fois en qualifier, outrageusement, d’une arme néocoloniale
Il est juste question de s’organiser, en ayant des acteurs du monde de l’art originaire du terroir, conscients des enjeux ; visionnaires et curieux, capables de mettre en place des grands projets en long terme. Avec la participation de l’Etat, dans une politique culturelle, visant la valorisation des patrimoines matériels et immatériels, en collaboration avec les privés, on ne parlera plus du néocolonialisme. La main qui donne est celle qui dirige. C’est la loi de la nature ; car La liberté étant l’opportunité de se réaliser soi-même sans être lié aux contraintes traditionnelles, comme on le dit.
Jean Kamba
Poète et critique d’art