« A la fin des années 70, Papa Wemba passait presque chaque samedi à la télé. A chaque fois, la semaine suivante, tous les jeunes de Kinshasa allaient en ville pour chercher les mêmes vêtements que ceux qu’il portait ! Il était un modèle pour eux. »
Papa Wemba, le « roi de la rumba » congolaise, décédé dimanche 24 avril à l’aube, à Abidjan, en Côte d’Ivoire, était l’une des icônes de la Sape, que beaucoup d’adeptes ont élevée au rang de religion. Alors, en signe de deuil, des fans à Kinshasa ont revêtu leurs plus belles tenues. « Il a montré beaucoup de choses : il faut bien s’habiller, bien se parfumer… Si je suis comme je suis maintenant, c’est grâce à lui ! », confie un jeune homme.
La star de 66 ans est décédée sur scène, en plein concert. Selon plusieurs sources, il avait confié à plusieurs reprises que c’était ainsi qu’il s’imaginait quitter le monde. « Il est mort en pleine énergie », en servant son art, ce qui« l’honore vraiment », estime le photographe Yves Sambu, du collectif Solidarité des artistes pour le développement intégral (Sadi), qui avait approché l’artiste pour un grand projet visant à promouvoir la Sape.
La Sape continue
Chancelier Mabonda, qui possède des malles entières de vêtements et de chaussures, explique que la mort de Papa Wemba est « vraiment un coup dans le cœur des Sapeurs ». « On n’arrive pas comprendre, poursuit le président du groupe de sapeurs Léopards. Vraiment, c’est Dieu qui sait. Mais la Sape continue ! Nous, on est là. »
La Sape s’est développée dans les années 1960 au Congo, où elle est née, et en République démocratique du Congo. A Brazzaville, c’est plutôt ambiance dandy, avec costume, chapeau, canne à la main ou pipe à la bouche ; à Kinshasa, l’excentricité est de bon ton : coton, soie, fourrure, lin se côtoient dans un mariage de couleurs parfois déroutant. Sûrs de leur goût, les Kinois prient pour les sceptiques : « ô Dieu de la Sape (…), pardonne à tous ceux qui ne savent pas s’habiller ! »
Avant Papa Wemba, deux autres baobabs de la Sape sont tombés. D’abord le musicien Stervos Niarcos, qui avait fondé la religion « kitendi » (l’habillement, en lingala), avant de rendre l’âme en 1995 dans la prison de Fresnes, près de Paris, où il était incarcéré pour une affaire de stupéfiants. En 2014, dans la capitale française, le chanteur King Kester Emeneya, grand adepte de blousons en cuir, s’est éteint à son tour.
« Le pape de la Sape, c’est Stervos Niarcos, mais Papa Wemba, c’est notre idole, juge Six S’malto, 28 ans. Si la Sape a évolué, c’est grâce à lui. Il nous a beaucoup aidés à propos de la mode vestimentaire, à propos du style, de la démarche, de la façon de parler. » Car tout Sapeur se doit de glorifier les créateurs par des pas de danse et l’exhibition des griffes – un culte que certains jugent indécent, la majorité des Congolais vivant dans la misère.
Pour le sapeur fantasque Bwapwa Kumeso, 46 ans, Papa Wemba était plus qu’une idole. Il affirme avoir habillé la star et son groupe, Viva la Musica, ce qui lui a permis d’« acheter une machine à coudre et un groupe électrogène ». Et créer sa propre marque : Kadhitoza, qu’il porte lors des grands événements – comme le 10 février, anniversaire de la mort de Stervos Niarcos et décrété « fête des Sapeurs » par les fidèles du mouvement.
Les Sapeuses peinent à s’affirmer
Parmi les héritiers de Papa Wemba, on trouve aussi des héritières. Les Sapeuses, encore rares, portent pour certaines des costumes – ce qui tend à déplaire dans un pays où, par endroits, une femme en pantalon est jugée indécente et peut se faire agresser verbalement ou physiquement. « Elles donnent l’impression d’être lesbiennes. Est-ce que ce sont des femmes ? Est-ce qu’un homme peut s’approcher d’elles si elles font comme ça ? », interroge Angélique Kipu Katani, présidente de la Ligue de promotion de la femme congolaise.
Papa Wemba, lui, n’était pas de cet avis. Sur plusieurs photos, il apparaît au côté de Marie-Louise Likuse, alias « Mère Malou », qui a beaucoup évolué en France, où elle est décédée en 2008. Le roi de la Sape avait loué ses performances. « Elle était en tête de peloton avec nous puisque quand ce mouvement a démarré, elle était là. Vraiment, elle en a fait un peu, quelque part, son cheval de bataille aussi : elle parlait bien de la Sape. »
D’autres hommes défendent les Sapeuses, mais sous réserve. « Une femme qui s’introduit dans le monde de la Sape ne peut pas imiter les hommes. Il faut qu’elles aient leur propre style, qu’elles se comportent comme des femmes », estime le Sapeur Junior Kipulu. Pour certains, l’essentiel est ailleurs : recruter et former des femmes pour concurrencer Brazzaville lors des joutes vestimentaires. Car en matière de parité, le Congo a une longueur d’avance.
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