“C’est quand même une soirée spéciale”, confie entre deux répétitions le pianiste Ray Lema, 73 ans, avant le grand rendez-vous du festival Jazz Kiff dans les murs de la halle de la Gombe, l’autre nom de l’Institut français.
“Quand tu es à Kin, face à un public qui connaît ta musique, et surtout qui comprend chaque bout de phrase que tu chantes, c’est incroyable”, s’enthousiasme le guitariste et chanteur Lokua Kanza, 61 ans, qui en paraît bien moins, tout comme son aîné.
“J’ai grandi ici, j’ai appris la musique ici. Quand je reviens ici, c’est comme si je revenais leur donner ce que je leur dois”, poursuit Lokua Kanza, qui vit en France et ne s’est pas produit à “Kin” depuis plusieurs années.
Un lien de filiation musicale unit les deux hommes, qui ne sont pas aussi connus en République démocratique du Congo que les stars de la rumba (Koffi Olomide, Fally Ipupa…).
“Lokua a joué avec moi pendant longtemps avant de partir faire sa carrière en solo”, rappelle Ray Lema.
Leur soirée de retrouvailles est d’autant plus spéciale qu’elle est placée sous le signe d’un hommage à Papa Wemba, décédé sur scène à Abidjan en avril 2016, et qui aurait eu 70 ans ce 14 juin.
“Papa Wemba m’a fait l’honneur de produire son album Emotions. J’ai composé cinq titres”, se souvient Lokua Kanza, communément classé parmi les figures du folk africain avec des ballades aux mélodies soignées comme “Help”.
– Profondément congolais et éclectiques –
Papa Wemba, les pères fondateurs (Tabu Ley Rochereau et Franco Luambo, qui sera aussi honoré samedi soir), mais aussi les chants et les rythmes des profondeurs du pays comme le “mutuashi” des Balubas du Kasaï…: la matrice musicale des deux artistes est profondément congolaise.
“Les funérailles, les mariages, les anniversaires: il y avait toujours des musiques traditionnelles; ce sont ça mes souvenirs les plus vivaces”, se souvient Ray Lema en se replongeant dans son enfance.
Au fil de leurs années de formation, de leurs voyages et de leurs collaborations, ils ont élargi leurs horizons au jazz, à la variété française, et même jusqu’aux voix bulgares pour le pianiste.
L‘éclectisme de Ray Lema est une histoire ancienne. “Quand je suis allé au petit séminaire, on m’a mis sur le grégorien, ensuite sur le piano”, se souvient celui qui se destinait à devenir prêtre.
“Un des mes souvenirs les plus marquant, c’est mon premier concert. J’ai dû faire la sonate au clair de lune de Beethoven. Cette sonate, jusqu’aujourd’hui elle me tourne dans la tête”, poursuit-il, sans préciser si les arpèges et la mélodie de Beethoven l’apaisent ou le tourmentent.
“Aujourd’hui à 73 ans, je suis encore un étudiant au piano. Je continue de faire des progrès au piano et d’apprendre”, glisse Ray Lema, respecté par les amateurs de jazz qui connaissent sa collaboration avec Laurent de Wilde.
“Je crois qu’avec Ray Lema et d’autres, nous avons pu sortir la rumba de sa routine”, affirme Lokua Kanza dont la liste des échanges artistiques est longue comme la play-list d’un fan de belles mélodies: Jean-Louis Aubert, Francis Cabrel, le regretté Geoffrey Oryema décédé il y a un an le 22 juin 2018…
“On ne dit pas que la rumba est mauvaise, on dit qu’on ne peut pas servir la même sauce tout le temps”, poursuit-il. Avec eux deux la rumba congolaise est servie à toutes les sauces, à moins qu’elle n’apporte sa pointe de sensualité à tant d’autres genres musicaux.