Les Africains, en général, parlent de leurs Sociétés traditionnelles comme étant basées sur la philosophie et la sagesse du bonheur partagé; les Sociétés où communautarisme fait la loi, les Sociétés qui ignorent l’individualisme du système capitaliste occidental. La bisoïté vient du lingala biso qui veut dire “nous”; il s’agit d’un “nous” planétaire, inclusif, qui intègre le “je” et qui ne s’oppose pas aux autres groupes considérés comme des ennemis. En effet, la bisoïté est un néologisme qui a été conçu et développé philosophiquement par le Professeur Tshiamalenga Tumba, dans l’objectif de souligner la mentalité africaine qui serait axée sur le “nous” et non sur le “je” individualiste et égoïste, sur la communauté et non sur l’individu isolé ou coupé de sa communauté d’appartenance. D’ailleurs, le “je” ou l’individu trouve son sens et son épanouissement personnel quand il est harmonieusement intégré dans le “nous” ou dans la communauté. Nous sommes, donc je suis, je suis, car nous sommes, dit-on en Afrique. Il y a là une virtualité circulaire à l’instar de deux vases
communicants, qui se fécondent mutuellement sans toutefois s’anéantir.
Le mot Ubuntu ou Bumuntu est traduit en français par l’humanité, un ensemble de valeurs fondamentales, humaines, qui régissent les Sociétés africaines. Les Africains voudraient que leurs Sociétés modernes et leurs jeunes démocraties soient imprégnées de valeurs jaillissant de la bisoïté ou de l’Ubuntu ou Bumuntu. En ce sens, la bisoïté, l’Ubuntu ou Bumuntu sont là des concepts fondamentaux constituant le socle des Sociétés africaines.
Cela dit, il est capital de se demander: quel est le fondement de la philosophie africaine de la bisoïté, de l’Ubuntu ou Bumuntu? C’est la question qui va aiguller notre recherche.
Nous voudrions ici faire une immersion dans la pensée du Professeur Oscar Bimwenyi Kweshi pour dégager le fondement de ce que d’aucuns appellent Bisoïté, Ubuntu ou Bumuntu. D’après nous, pour bien comprendre ces valeurs, il faut d’abord saisir les dimensions constitutives du Muntu muine, c’est-à-dire la personne humaine tout court, sans distinction d’ethnie, qui est appelée à les vivre concrètement dans sa vie quotidienne au sein de la Société. Selon Oscar Bimwenyi Kweshi, le Muntu muine ou la Personne humaine,
dans son intégralité, est un être caractérisé par un triangle vital ou tridimensionnel:
- il est tourné vers Dieu,
- il est tourné vers ses semblables et, en fin,
- il est tourné vers le cosmos.
- Le Muntu muine, ou la personne humaine, est tourné vers Dieu.
À l’instar du tournesol héliotrope, qui suit chaque instant la direction du soleil, le Muntu muine est ontologiquement polarisé vers Dieu, son Créateur. Oscar Bimwenyi Kweshi explique cette vérité en disant que l’existence de tout homme n’est rien d’autre que la réponse continue à l’appel de Dieu, l’appel que ce dernier a lancé via sa parole créatrice.
Cette dernière crée et habite la réalité créée en l’orientant vers son Créateur, sa source, qui est aussi sa destination finale. L’être humain est apparu au monde subsolaire par l’appel verbique et vibratoire lancé par Dieu, et, donc exister, pour Oscar Bimwenyi Kweshi, signifie être en train de répondre à l’appel de Dieu. Autrement dit, exister veut dire être tourné vers l’Appellant. Donc, le Muntu muine a une béance constitutive, une ouverture ontologique qui n’est pas facultative. Il est comme ça, et il ne peut pas être autrement.
- Le Muntu muine est tourné vers ses propres semblables Selon Oscar Bimwenyi Kweshi, le Muntu éprouve son existence comme celle d’un être qui n’est pas un atome isolé des autres, mais plutôt comme une expérience de la membralité.
Ça veut dire que le Muntu muine est défini et se définit lui-même comme membre d’une grande communauté humaine, appelé à tisser des bonnes relations avec les autres membres de la même communauté dans un seul objectif principal: celui de promouvoir la vie afin que celle-ci triomphe de la mort. Il s’agit donc de tenir la mort à distance par la prière
communautaire, individuelle et par le travail, en vue de l’éclosion d’une Société africaine debout et d’une humanité planétaire toujours plus ennoblie.
En langue luba, le Muntu muine est toujours défini comme “muena”. Muena, au pluriel “Bena”, est une particule qui indique la relation d’appartenance. Chacun de nous est fils de sa famille biologique, de son lignage, de son clan, de son village, de sa tribu, de sa ville, de
sa collectivité, de son secteur, de son groupement, de son Territoire, de sa Province, de sa
Nation, de son Continent et de l’humanité tout entière. L’expérience de la membralité est,
en ce sens, une évidence, que chacun de nous vit à sa manière. L’être humain ou le Muntu
muine est ouvert ou polarisé vers ses semblables, faute de quoi, son être est comme
diminué, condamné à la dégradation anthropologique. Donc, la vocation du Muntu muine
est celle d’être comme une plaque tournante des relations. - Le Muntu muine est tourné vers le cosmos.
Il s’agit ici, selon Oscar Bimwenyi Kweshi, de mettre en exergue la dimension
écologique du Muntu muine. Ce dernier partage le même espace cosmique avec les
animaux, les plantes, les arbres, etc. En effet, c’est grâce à l’interaction entre tous les
coéquipiers qui constituent le peuplement cosmique que le Muntu muine trouve son
épanouissement personnel et collectif.
Par ailleurs, les traditions culturelles et spirituelles africaines renseignent que le Muntu
muine a été constitué, par Dieu, le coryphée de la liturgie cosmique universelle, et par
conséquent, il est appelé à veiller à l’harmonisation et à l’équilibre écologique. Le Muntu
muine est sacerdoce qui célèbre, par ses actes humains, responsables et imprégnés d’amour,
la liturgie cosmique en vue de sauvegarder tout ce qui est créé.
Le cosmos est un don de Dieu dont le Muntu muine est seulement le gardien. En ce sens
l’homme n’a pas de quoi se pavoiser, il est un simple jardinier paysagiste appelé à prendre
soin du grand jardin qu’est le cosmos lui-même, car l’homme est, selon nos traditions
culturelles et spirituelles, un cosmos en miniature, un être composé des éléments de la
nature ou du cosmos. Donc, pour le Muntu muine, prendre soin du cosmos signifie se
protéger soi-même. C’est une question de vie ou de mort, la bataille écologique.
Voilà en peu de lignes ce qui constitue le fondement de la philosophie africaine axée sur la bisoïté, Ubuntu ou Bumuntu. Toutefois, il est réaliste et capital de noter que ces valeurs fondamentales de l’Afrique mère et éternelle sont en crise aujourd’hui dans nos Sociétés africaines modernes où les Africains condamnent le racisme occidental dont ils sont victimes, mais entre eux, ces mêmes Africains, pratiquent le tribalisme au sein de leurs Institutions étatiques ainsi que celles ecclésiales.
Si le racisme occidental est un mal exogène, le tribalisme en est là un mal endogène, qui déstabilise catégoriquement les Sociétés africaines du dedans. Nous respirons l’air du tribalisme dans des Partis politiques, dans des Universités ecclésiastiques, au couvent et
dans les communautés musulmanes. Dois-je faire des exemples pour convaincre mes
éventuels lecteurs? Je me réserve pour ne pas trop culpabiliser, voire choquer certains
esprits.
Seule une Afrique unie culturellement, politiquement, économiquement et
militairement, qui lutte pour renégocier ou récupérer sa souveraineté continentale, qui lui a
été arrachée, peut être à la hauteur et rebondir d’une manière ou d’une autre.
Tant que nous serons divisés entre nous à cause du tribalisme, et au service des
puissances occidentales sauvages qui nous séduisent ou obligent de torpiller les intérêts de
nos populations, cela voudrait dire que nous avons levé l’option d’être éternellement
clochardisés et, par conséquent, esclaves d’une minorité dominante et déshumanisante.
Voici là les défis fondamentaux que les Sociétés africaines modernes sont appelées à
relever en renouant avec les racines culturelles et spirituelles africaines et surtout en puisant
dans la philosophie ou sagesse de la bisoïté, l’Ubuntu ou Bumuntu les vraies valeurs
capables d’ennoblir l’humanité dans sa version négro-africaine, en vue d’un rendez-vous du
donner et de recevoir dans les concerts d’un monde interculturel et globalisé. Donc, il est
impérieux de commencer hic et nunc à enseigner les valeurs fondamentales de la bisoïté, de
l’Ubuntu ou Bumuntu aux enfants de nos familles biologiques et politiques, à la catéchèse
paroissiale, à l’école de dimanche, à l’école maternelle, primaire, secondaire jusqu’à
l’université, en vue de juguler la crise anthropologique qui sévit actuellement en Afrique, un
Continent déchiré par les conflits orchestrés par les puissances occidentales, assoiffées des
matières premières, en complicité avec les idiots utiles et les crapules sans scrupule, de
l’univers africain, au pouvoir des marionnettes.
Notre libération holistique est à ce prix.
Prof. Alain Mutela Kongo
1 Commentaire
Bonjour,
Je souhaiterais avoir en PDF l’article du professeur Alain MUTELA KONGO.
Je vous remercie d’avance.
Cordialement,
Jean-Claude Girondin