Et si le cœur de la course à la bombe atomique n’avait pas battu à Los Alamos, mais dans les mines du Congo belge ? C’est cette page fascinante et méconnue de l’histoire que ressuscite l’écrivain Blaise Ndala dans son dernier roman-enquête, une épopée littéraire où la grande histoire mondiale rencontre les destins intimes.
Romancier à la plume patiente et à l’écoute du monde, Blaise Ndala, originaire de la République Démocratique du Congo et établi à Ottawa, construit une œuvre puissante qui interroge les mémoires et les héritages coloniaux.

Après les succès retentissants de “ Sans capote ni kalachnikov ” (2017) et de “ Dans le ventre du Congo ” (Prix Ivoire et Prix Ahmadou-Kourouma 2021), il revient avec un thriller historique aussi enlevé qu’érudit : “ L’Équation avant la nuit ” . Cette fois, il plonge le lecteur au cœur d’un secret qui a changé la face du monde : le rôle crucial de l’uranium congolais dans la fabrication de la première bombe atomique.
L’idée germinale de ce roman foisonnant remonte aux années de formation de l’auteur. Alors qu’il achevait ses études de droit à l’Université de Kinshasa, sur le campus de Muamba, un voisinage pour le moins insolite aiguisa sa curiosité.

« À côté du campus, se trouvait un centre de recherche nucléaire et l’on ignorait sa raison d’être », confie-t-il, revenant sur cette énigme lors d’un passage sur le plateau du Journal Afrique de TV5Monde.
« Pourquoi le pays s’en était-il doté à une époque où d’autres urgences, d’autres préoccupations, semblaient primer ? » Cette question, longtemps enfouie, est devenue le point de départ d’une enquête littéraire de grande ampleur.
Sa quête l’a conduit bien au-delà des frontières congolaises, sur les traces d’une histoire mondiale occultée. “ L’Équation avant la nuit ” explore la course effrénée et secrète que se sont livrée les Alliés et l’Allemagne nazie pour s’approprier l’uranium du sous-sol congolais, élément indispensable à la fabrication de l’arme absolue.
« En voyant des figures bien connues, une course à la bombe où Hitler met en garde Roosevelt sur une possible attaque nucléaire. C’est ainsi que j’ai pu créer des personnages qui ne faisaient pas partie du conflit et qui n’ont pas participé à la recherche comme telle », explique Ndala, décrivant son processus d’écriture.
Il entremêle avec maîtrise des figures historiques réelles et des protagonistes fictifs, donnant une chair et une émotion à cette fresque géopolitique.
Le récit s’ouvre sur une rencontre apparemment banale : Daniel Zinga, un écrivain congolais, accepte l’invitation de la séduisante professeure Beatriz Reimann pour une conférence à Washington. L’attrait intellectuel et sentimental laisse vite place au vertige lorsque Beatriz reçoit un courrier anonyme contenant une photographie troublante.
On y voit son père, Walter Reimann, aux côtés du prix Nobel de Physique Werner Heisenberg et d’Adolf Hitler. Cette image énigmatique propulse le duo dans une enquête haletante qui les mènera de Washington à Santiago, de Montréal à Berlin et jusqu’à Lubumbashi.
Au-delà du thriller historique, le roman de Blaise Ndala porte un regard aigu sur les dynamiques contemporaines. L’auteur y décrypte l’ingérence persistante des puissances étrangères qu’elles soient asiatiques, européennes ou autres dans les affaires congolaises.
Cette soif inextinguible pour les richesses du sous-sol, qui se traduit par l’épuisement des ressources au détriment des populations, constitue l’arrière-plan brûlant de son intrigue.
Son roman devient ainsi une métaphore de la trahison continue subie par un peuple et un territoire dont les richesses ont forgé le destin du monde, souvent sans son consentement et à son insu.
Avec « L’Équation avant la nuit », Blaise Ndala signe bien plus qu’un simple roman. Il est l’archéologue de mémoires ensevelies, le conteur qui redonne une voix aux « peuples des marges », ces acteurs oubliés de la grande Histoire. En humanisant une équation scientifique et géopolitique par le prisme de personnages en quête de vérité et de rédemption, il offre une lecture captivante et nécessaire.
Son œuvre nous rappelle avec force que pour comprendre les convulsions du présent, il faut examiner les secrets du passé, surtout lorsqu’ils dorment, depuis des décennies, à l’ombre d’un campus universitaire en Afrique.
Franklin MIGABO