Résumé
Dans cet entretien l’artiste Eddy Masumbuku met en évidence les éléments qui lui poussent à penser être le premier artiste, de la scène contemporaine de l’art de Kinshasa, à faire des actions qui entrent dans le compte de ce que le vocabulaire de l’art contemporain désigne comme « art performance ». L’année 2001 marque donc le début d’un nouveau millénaire à travers le projet d’expositions, intitulé « Emergence », initié et commissarié par le critique d’art congolais Célestin Badibanga-, à travers sa structure l’Espace Akhenaton en collaboration avec l’Institut français de Kinshasa- dans le cadre de son accompagnement des jeunes artistes réunis autour du concept de « Librisme1 ».
Introduction
L’artiste Eddy Masumbuku vit et travaille à Kinshasa. Il a une carrière artistique d’une trentaine d’années, avec à son actif plusieurs évènements à Kinshasa et ailleurs. En 2007 Masumbuku a exposé ses œuvres, à Bruxelles, dans le cadre du projet Yambi. Dans le cadre de l’exposition « Les bords des mondes » , en 2015, l’artiste a été invité à exposer au Palais de Tokyo, à Paris . Durant la même année la biennale de Lubumbashi, sous le thème de « Réalités filantes », verra cet artiste à l’œuvre. De même, au festival « Belluard
Bolwert », en 2016, à Fribourg en suisse l’artiste prendra part. De nouveau, en 2017, la biennale de Lubumbashi sous le theme « Eblouissement », adressera une invitation à Eddy Masumbuku.
L’artiste « Masumbuku a grandi dans sa cité natale, Mangai où il vit le jour le 3 octobre 1965, dans la province de Bandundu. Son adolescence est marquée par une nourriture « toute spirituelle » : les contes traditionnels, empreintes de sagesse ancestrale, l’apprentissage de la recherche avec les mathématiques et la physique tout comme la philosophie qu’il découvre au cours de ses études secondaires forgent un esprit critique mais serein. 1985 : Masumbuku, encore élève collégien, se révolte contre l’esprit fataliste et résigné de ses concitoyens de Mangai, aux yeux desquels la galère dont ils sont accablés résulte de la « politique » : « Tout simplement !!! Personne n’y peut rien… » disent-ils. Masumbuku n’est pas d’accord, il va le faire savoir. Symbole de sa rupture avec l’idéologie officielle de l’époque, à savoir l’authenticité qui, à ses yeux,
est la cause de l’anesthésie intellectuelle collective. Masumbuku tente de recouvrer son identité originelle. Malgré les contraintes politiques d’alors, il rejette son postnom zaïrois « Alungula » qu’il remplace par le pseudonyme d’ « Eddy ». Diplômé d’Etat en 1988, Masumbuku s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa en 1989.
En section publicité. Malgré lui. Le défi à relever est celui de réaliser son rêve d’exceller dans la peinture d’expression plus que dans l’illustration publicitaire. Dès 1995, il consacre ses heures libres à illustrer les livres pour enfants. La sagesse des enfants du village ainsi que les « devinettes » sont ses thèmes de prédilection. Mais ces esquisses au pastel ne tardent pas à dévoiler leurs limites, ce support ne permettant pas à l’artiste de s’exprimer pleinement… »2
LA MORT DE LA CONNAISSANCE
Jean Kamba : D’après vos archives, c’est en 2001 que vous aviez exposé pour la première fois en solo, à l’Institut français de Kinshasa, pouvez-vous en parler?
Eddy Masumbuku : Oui, cette exposition a été réalisée dans le cadre d’un projet du critique d’art Célestin Badibanga, intitulé Emergence. Normalement, il était prévue une exposition collective des libristes , mais le directeur3 du centre culturel français de cette époque, après nous avoir visités, avait suggéré à Badibanga de plutôt organiser des expositions de tout un chacun de nous car il avait trouvé que nous tous avions beaucoup d’idées à partager et qu’il fallait juste trouver un terme qui réunirait toutes ces expositions classées en épisodes.
L’épisode I était consacré à notre collègue Francis Mampuya, l’épisode II était pour Germain Kapend et l’épisode III m’était consacré. Alors, lorsque j’avais commencé à préparer mon épisode, j’avais trouvé que j’avais beaucoup de choses à exprimer mais je ne trouvais pas comment les mettre sur mes tableaux. Il m’est arrivé de dire à Badibanga cette observation tout en lui signalant que j’aimerais palier à cette difficulté en posant des actes où j’utiliserai mon corps pour accompagner mon exposition. Mais, en réalité Badibanga n’adhérait pas à cette idée, toutefois j’insistais.
Vers la dernière semaine, de la mise en place de l’exposition, il me demandera comment je pensais réaliser les actes dont j’insistais à mettre à contribution. En fin de compte je lui fis part de mes idées et de son côté, il proposera des idées sur la mise en place…Il m’avait posé la question sur comment je comptais entrer en scène et je lui répondis que j’envisageais me déguiser en chef coutumier. Il m’autorisa d’aller me préparer pour tout ça. Ensuite je suis allé au Zando4 pour m’acheter quelques tissus, que nous utilisions comme toile de peinture, que
j’eu préparé pour en faire des costumes. Il fallait créer un environnement forestier dans la salle de l’exposition, c’est ainsi que j’avais sollicité l’aide d’une amie française qui s’appelait Régine. Cette dernière contactera, à son tour, l’un de ses amis qui me prêtera enfin de compte des fleurs, et l’exposition eu lieu.
J.K: Y-avait-il un titre particulier lié à ces actes et installation ?
E.M: J’avais intitulé cela « La mort de la connaissance ». Dans le cadre de ma démarche artistique, j’étudie les comportements des humains. Depuis que j’ai commencé mon parcours artistique j’observe plus le comportement des gens ; et me demande souvent comment apporter notre contribution pour leur montrer le chemin ; c’est ainsi que j’avais endossé le rôle d’un chef coutumier car c’est cette personne qui gère les gens dans le village. Il tranche, il trouve des solutions… Ayant constaté que la connaissance était morte, il avait fallu réfléchir sur comment remettre les gens sur le droit chemin ; c’est ainsi que dans l’installation il y avait un cercueil traditionnel5 avec à l’intérieur un dictionnaire, ici symbolisant la connaissance. Moi-même j’avais porté l’identité d’un chef qui revenait d’un déplacement et à son retour constatera une crise alimentaire et une désertification. En réalité, je parlais du cas particulier de mon pays et de l’Afrique, d’une façon générale. Je trouve que nous vivons dans un désert voulu, tout en ayant une terre fertile.
J.K: Etiez-vous conscient que les actes que vous posiez entraient dans le cadre de ce qui est désigné comme art performance ?
E.M: Sincèrement je ne savais pas ; je ne faisais que parler des actes. Même quand j’en parlais à Badibanga il ne me parlait pas de performance.
Apparemment nombreux n’étaient pas au courant de ce mot, car même dans la sphère de l’Académie de Beaux-arts à l’époque, parmi ceux qui étaient branchés sur le monde de l’art à l’international, il y avait l’artiste Roger Botembe qui, deux semaines après mes actes, ne me dira pas que j’avais fait une performance ; il m’avait plutôt dit : « petit osali kindoki hein »6, tout en blaguant. Les feuillets qui avaient fait office de publication sur cette exposition avaient paru un mois après et c’est sur ceux-ci que j’avais remarqué
l’inscription du mot « performance-installation ». C’est ainsi que j’étais allé vérifier, dans le dictionnaire, le sens de ce mot. Donc c’est la première performance.
J.K: Pourquoi vous dites que c’est la première performance ?
E.M: Je dis cela car avant de faire ça, je n’avais jamais vu quelqu’un la faire. Aussi, même le mot était apparemment ignoré par mes paires. Celui qui pouvait avoir une connaissance sur ces actions était Roger Botembe mais une fois, qu’il m’avait rencontré il me parlait de Kindoki ; je présume qu’il l’ignorait aussi car si il le savait il me l’aurait dit. A part Badibanga qui l’avait écrit, je n’avais jamais entendu quelqu’un prononcer ce mot.
J.K: Pouvez-vous décrire la performance en question ainsi que sa scénographie ?
E.M: Tout autour des murs il y avait des tableaux, en lien avec la performance. Par exemple, j’avais un tableau intitulé « Afrique berceau de cranes vivants » ; aussi un autre intitulé « Face à la conscience », etc. Au milieu de la salle il était installé une végétation, avec des fleurs, pour illustrer une terre fertile et (un petit désert), aussi un couloir où je devais passer pour entrer en scène. C’était vraiment bien étudié. Durant le discours d’ouverture j’étais dans une loge tout en portant mon costume. Une fois le discours pris fin, je fis mon entré cérémoniale, autant qu’un chef coutumier avec un costume et une lampe tempête à la main. Arrivé devant le cercueil, qui faisait partie de l’installation, je commençais à inviter le public à venir voir ce qu’il y avait à l’intérieur, après l’avoir ouvert. La première personne que j’avais appelée était une femme qui n’était pas loin de moi, mais celle-ci effrayée s’agrippait sur la personne avec qui elle était. La deuxième personne invitée à contribuer, à la cérémonie, c’était un monsieur qui était tout prêt de Jean-michel Champault . Hésitant un peu, Champault l’encouragea à entrer dans la danse et il vint voir. Enfin, j’avais au finish appelé le Directeur de l’Académie7, qui clôturera cette séance de regard dans le cercueil. Apres cela, j’avais enlevé le costume et tous les éléments que j’avais sur moi pour les installer parmi d’autres éléments qui étaient déjà installés.
J.K: Savez-vous que vous faisiez du « happening », en faisant participer le public ?
J’ignorais toutes ces notions. Ces termes techniques je les ai connus qu’après.
J.K: Vous avez évoqué un déguisement avec un costume de chef coutumier, qu’en était-il ?
E.M: Ayant pensé à me déguiser en chef coutumier, il me fallait apparaitre
entant que tel. Je n’étais pas tenté d’aller vers un quelconque chef afin de louer ses attributs du chef et j’avais jugé bon de confectionner ma propre tenue en y ajoutant une touche artistique. Comme dit ci-haut, j’avais acheté des tissus sur lesquels j’avais fait intervenir la sérigraphie, en tirant, pour créer un décor constitué des dessins abstraits, du t-shirt au pagne que je portais. J’étais coiffé d’un chapeau traditionnel, emprunté auprès d’un ami, car je n’avais pas assez de temps pour en confectionner un.
J.K : Apres cette expérience, étiez-vous tenté de continuer dans cette logique de création de ce genre ?
Toujours durant la même année, après l’exposition, je me suis inspiré, par un pur hasard, d’une sorte de collier en bambou que les gens portaient. Au lieu de rester sur le collier je suis allé jusqu’à coller ces morceaux de bambou sur un sac en tissu. A chaque fois que je me promenais avec, là c’était durant un petit séjour à mon village Mangai, que j’avais eu après l’exposition, les gens me demandait de leur laisser avant que je rentre à Kinshasa. Cela m’intriguait. De même, une fois à l’Académie des étudiants et collègues artistes, surtout ceux de la décoration étaient intéressés à cela. J’étais donc motivé et je me suis dit qu’il fallait en faire tout un habit. C’est ainsi que j’avais au départ crée un gilet tout en bambou. Avec le temps j’avais développé cette création en confectionnant des culottes, manteaux, cravates, pantalon, sandales et autres. C’est cette création, en bambous, que je suis jusqu’à présent en train de développer, tout en faisant mes peintures.
Bibliographie
Célestin Badibanga ne Mwine, « Régards croisés Kinshasa-Lubumbashi La peinture kinoise » , Lettre de la Délégation Wallonie-Bruxelles en République Démocratique du Congo , Kinshasa, 2002
Communication de IDEM « Emergence d’une nouvelle plastique congolaise » présentée lors du symposium « Art, Minorités et Majorités »,11p.,2003. FR ACAJLEEN AIC02 04/11,fonds Jacques Leenhardt,INHA-Collection Archives de la critique d’art, France.
Jean Kamba Critique d’art et curateur
1 Voir Célestin Badibanga ne Mwine, « Régards croisés Kinshasa-Lubumbashi La peinture kinoise » , Lettre de la Délégation Wallonie-Bruxelles en République Démocratique du Congo , Kinshasa, 2002, p.8. : « Fondé par
« les étudiants rebelles » ; Kapend, Masumbuku, Mampuya ; le collectif des libristes inaugure, en 1996, le nom d’ « exhibition libre ». Ce dernier rassemble des jeunes artistes révoltés, de façon affichée, contre les contraintes emprisonnant de la pédagogie conventionnelle en vigueur à l’Académie des Beaux-arts. Les plus connus à ce jour sont : Kapend , Katembwe, Kayamba, Lukifimpa, Mampuya, Masumbuku et Nganga Puati. Ils prônent le refus de codification des canons de beauté qui ferait d’eux une école ou tendance esthétique déterminée. Leur art interroge les acquis scolaires et s’élargit aux différentes expériences de l’art contemporain dont la peinture-sculpture, la récupération, l’installation, la performance et autres audaces non prises en compte dans la présente exposition ». Voir Célestin Badibanga ne Mwine « Regards croisés Kinshasa- Lubumbashi La peinture kinoise » « Lettre de la Délégation Wallonie-Bruxelles en République Démocratique du Congo »
2 Communication de IDEM « Emergence d’une nouvelle plastique congolaise » présentée lors du symposium
« Art, Minorités et Majorités »,11p.,2003. FR ACAJLEEN AIC02 04/11,fonds Jacques Leenhardt,INHA-Collection Archives de la critique d’art, France
3 Le directeur du Centre culturel français de l’époque s’appelait Jean-michel Champault
4 Il s’agit du grand marché de Kinshasa
5 Fait en bois de baobab
6 Petit frère, ce que tu as fait-là c’est de la sorcellerie
7 Le Directeur de l’Académies des Beaux-arts de Kinshasa de cette époque était Daniel Shongo